Vers une nouvelle confrontation Poutine-Trump : à quoi le monde doit-il se préparer ? (PARMENTIER – Géo)

Un re-match entre Vladimir Poutine, qui rempile pour un cinquième mandat, et Donald Trump, en avance dans les sondages face à Joe Biden, se profile. Dans un contexte géopolitique (très) tendu, qu’attendre de cette nouvelle rencontre des mandats ? GEO a interrogé deux spécialistes de la question.

MARIE LOMBARD Publié le 21/03/2024 à 18h35 – Mis à jour le 22/03/2024

87,8 % des voix. C’est peu dire que les élections russes ont tourné en faveur de Vladimir Poutine. Conformément aux pronostics, les dés étant largement pipés comme nous le relations récemment, et au grand dam des dirigeants Occidentaux, le leader russe rempile pour 6 ans au Kremlin.

Une poigne de fer qui plie les opposants, et hystérise la géopolitique mondiale, entre guerre en Ukraine et conflits larvés au doux fumet de Guerre Froide. Dans ce climat incendiaire, une nouvelle élection se profile, à l’autre bout du globe. Elle devrait voir s’opposer pour le bureau ovale de la Maison-Blanche, les deux présidents les plus vieux connus par les États-Unis, Joe Biden, et Donald Trump.

Trump et Poutine à la présidence : un scénario pas si improbable
C’est déjà l’heure des pronostics outre-Atlantique, et ils mettent pour beaucoup en avant le candidat républicain. Celui-ci est crédité de 48% face à son rival démocrate (43%) par le New York Times, de 47% (contre 42%) par NBC, et mène en tête de sept swing states selon Bloomberg. Bref, devant la ribambelle de chiffres qui, à ce stade des élections, ne peut encore être prise pour argent comptant (on en veut pour preuve les statistiques qui mettaient Hillary Clinton plusieurs points devant Donald Trump quelques jours avant la présidentielle de 2016), de sérieuses questions se posent. Dont celle de la future concomitance des mandats de Vladimir Poutine, round 5, et Donald Trump.

« On a déjà vu ça de 2017 à 2021 », peut-on objecter. Mais il faut bien reconnaître que le contexte actuel est des plus tendus, et a largement contribué à exacerber les tensions entre la Russie et les États-Unis. Nombre d’observateurs ont déjà soulevé le caractère imprévisible et corrosifs des réactions des deux personnalités politiques que sont Vladimir Poutine et Donald Trump sur ce sujet.

Les dernières déclarations de Vladimir Poutine ont posé une nouvelle fois sa ferme ambition de continuer sa guerre en Ukraine, avec l’arme nucléaire comme bras dissuasif. Celles de Donald Trump suggéraient un désengagement des Etats-Unis sur la scène internationale, laissant l’Ukraine et l’Otan sur le carreau. Ses alliés s’échinent déjà au Congrès pour bloquer l’aide américaine à Kiev.

Dès lors qu’attendre d’une nouvelle « rencontre » au pouvoir des deux personnages ? GEO a posé la question à Dominique Simonnet, journaliste spécialiste des États-Unis, et Florent Parmentier, secrétaire général du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), et chercheur-associé au Centre de géopolitique de HEC.

Comment décririez-vous les relations entre Vladimir Poutine et Donald Trump ?

Florent Parmentier : Il y a aussi une forme d’intérêt de la part de Vladimir Poutine pour Trump, sur deux choses : une proximité idéologique qui peut exister entre eux, et l’observation de la discorde chez l’ennemi. C’est un mécanisme solidement ancré chez Vladimir Poutine, pour autant qu’on puisse connaître ce qu’il se passe dans la tête du président russe. (…)

Toutefois, ce n’est pas le même Donald Trump que celui qu’on avait entre 2016 et 2020, qui pourrait revenir à la Maison-Blanche. Je pense qu’il pourrait suivre la même inclinaison que Viktor Orbàn [président hongrois conservateur, Ndlr] et revenir beaucoup plus radical.
On peut penser que le travail de Donald Trump depuis 4 ans a consisté à faire en sorte qu’il y ait un alignement du parti républicain par rapport à ce que lui souhaite apporter, et qu’il aura moins de contre-pouvoirs. Donald Trump est imprévisible, c’est sûrement ce qui a poussé Vladimir Poutine en début d’année à dire qu’il préférerait que le nom de Joe Biden sorte du chapeau en novembre.

Désengagement américain sur la question, blocage de l’aide américaine… On peut pourtant penser que les projets de Donald Trump pour l’Ukraine arrangent les affaires de Vladimir Poutine ?

Florent Parmentier : Si, arrivé au pouvoir, Donald Trump dit « Moi américain, je ne soutiens plus, je ne livre plus d’armes à l’Ukraine car je me concentre sur les défis intérieurs », les conséquences pourraient être très rapides sur le terrain : les soldats seront découragés, c’est un coup de Trafalgar.

(…)

Si Donald Trump parvenait à déserter l’Otan, quelles solutions pour l’Europe contre la Russie ?

Florent Parmentier : Si Trump est réélu, beaucoup de pays vont chercher une solution alternative. À ce moment-là, il faudra une sorte de leadership de substitution, et Emmanuel Macron est probablement en train de prendre rendez-vous. C’est un calcul qui est fait, au moins depuis le discours d’Emmanuel Macron à Bratislava en mai 2023, qui acte une réhabilitation des pays d’Europe centrale dans les calculs français, là où on a été absent ou mal compris pendant trois décennies. Le pari d’Emmanuel Macron se situe dans ce leadership post-Biden.

La question de la Chine, et celle du nucléaire
Lors du premier mandat de Trump, Russie et États-Unis se sont régulièrement affrontés sur la question nucléaire, peut-on espérer une entente en cas de réélection du Républicain en novembre ?

Florent Parmentier : Trump et Poutine n’ont pas la nécessité de s’entendre sur tout. Ce serait même assez improbable que deux grandes puissances aussi larges y parviennent. Mais la dissuasion nucléaire reste active : les règles du jeu ne sont plus les mêmes depuis 1945, en cas d’attaque nucléaire, c’est la destruction mutuelle assurée. Vladimir Poutine fait très bon usage de la dissuasion nucléaire. Et il n’y pas le début du niveau de confiance serait nécessaire pour mettre des négociations sur la limite du réarmement en place.

(…)

Et sur la question chinoise ? Est-ce que les deux visions peuvent s’ajuster ?

Florent Parmentier : La Chine et la Russie sont voisines depuis plusieurs siècles, ont eu des rapports compliqués, et longtemps des rapports d’ignorance. Dans les années 60-70, on était à deux doigts d’une guerre nucléaire entre les États et puis il y a eu un réchauffement à partir de 91.

Aujourd’hui on compte au moins 40 rencontres bilatérales entre Xi Jinping et Vladimir Poutine, et des déclarations successives au cours de la guerre. Dans le discours russe aujourd’hui, on comprend qu’il faut se tourner vers la Chine plutôt que vers l’Europe.

Maintenant le calcul qui pourrait être celui de Donald Trump c’est : « Si on considère que la Chine est le vrai compétiteur stratégique, et que pour lui faire face je suis près à lâcher mes alliés centre-européens, alors j’ai peut-être une chance d’infléchir en échange la politique russe sur son rapprochement avec Pékin. Je pourrais jouer sur la peur des élites russes que le pays devienne un « second » de la Chine, reléguée par les progrès de la Chine. »

La Chine et la Russie pourraient donc se rapprocher ?

Florent Parmentier : C’est une hypothèse très lointaine. Car il y a un tel niveau de manque de confiance des Russes envers les Occidentaux, qu’il faudrait que Trump lâche beaucoup de lest au niveau de l’Europe centrale, pour avoir un début de réflection des élites russes. Et les Russes ont retenu des 30 dernières années qu’un « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras » et que la promesse américaine de ne pas élargir l’Otan pourrait ne pas suffire.

Côté russe en plus on va faire le constat suivant : les États-Unis lâchent souvent leurs alliés. C’était vrai notamment en Afghanistan, et ça pourrait être vrai pour l’Ukraine. L’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kisisnger a dit : « Étre un ennemi des États-Unis est dangereux, mais être un allié peut-être fatal ». De son côté Vladimir Poutine ne laisse pas tomber ses alliés : on l’a vu avec la Syrie notamment. C’est un élément de persuasion dans le déploiement des cartes russes en Afrique.

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L’article est accessible dans son intégralité ici.