Florent Parmentier a été interrogé par Valérie de Graffenried du quotidien suisse Le Temps.
Ce résultat extrêmement serré pour le scrutin européen vous a-t-il surpris? Représente-t-il un camouflet pour Maia Sandu, qui n’est pas certaine d’être réélue?
Oui, le caractère aussi étriqué de la victoire constitue une surprise. Il aura fallu tout l’apport de la diaspora pour éviter une victoire du non. Ce résultat affaiblit clairement l’image pro-européenne de la population moldave et le leadership de Maia Sandu, dans un environnement géopolitique extrêmement compliqué. Lorsqu’elle arrive en politique au début des années 2010 comme ministre de l’Education, Maia Sandu est extérieure au système et inconnue du grand public. Vlad Filat, alors premier ministre, est considéré comme un réformateur pro-européen. Elle est battue lorsqu’elle se présente pour la première fois à l’élection présidentielle en 2016. Elle remporte l’élection suivante, en 2020, avec un discours orienté sur les valeurs européennes et la nécessité de mener à bien les réformes nécessaires pour se rapprocher de cet objectif. La guerre en Ukraine, en février 2022, change la perception de la Moldavie: d’Etat périphérique, le pays devient un Etat en première ligne du conflit qui secoue l’Europe. Dans ce contexte, Maia Sandu a réussi à placer son pays beaucoup plus au coeur des préoccupations européennes qu’à n’importe quel moment de son histoire. C’est une réussite qui peut lui être créditée. Toutefois, sur le plan intérieur, les conséquences économiques de la guerre ont pu jouer contre elle, ainsi que ses difficultés à élargir le cercle de ses alliés. Un second mandat serait nécessaire pour finaliser les transformations qu’elle a entreprises.
D’après le groupe WatchDog, la Russie aurait dépensé une centaine de millions de dollars pour influer sur le scrutin, à coups d’achats de votes, de pots-de-vin et de campagne de désinformation. Quel rôle a joué l’oligarque Ilan Shor?
La Moldavie doit affronter des tentatives d’ingérence de la part de la Russie depuis l’indépendance en 1991. La guerre en Ukraine a réactivé le clivage entre ceux qui sont favorables à la Roumanie et à l’UE, et ceux qui regardent vers la Russie. Pour ces élections, la Russie s’est clairement donné comme objectif de déstabiliser les autorités moldaves. La puissante campagne de désinformation financée depuis Moscou a notamment reçu le soutien d’Ilan Shor, homme politique vivant désormais en exil sur lequel reposent de forts soupçons de corruption. C’est depuis Moscou que l’oligarque a lancé son bloc électoral « Victoire » en avril dernier. A ce titre, nous pouvons comprendre la prise de parole véhémente de Maia Sandu contre Ilan Shor. Toutefois, on ne peut résumer la force de l’opposition à la seule personnalité d’Ilan Shor et à la corruption qu’il a organisée: une partie de l’opinion publique rejette véritablement la présidente et ce qu’elle représente. En Gagaouzie, région autonome de Moldavie, le non à l’Union européenne représente 95% des voix et Maia Sandu n’a compté qu’un peu plus de 2%. L’opinion publique est polarisée, comme risque de le montrer le second tour de l’élection présidentielle.
Comment voyez-vous l’avenir de la Transnistrie, qui a fait sécession en 1992 sans être reconnue par la communauté internationale, après ce scrutin capital pour l’avenir du pays?
La Transnistrie est, depuis le début de la guerre en Ukraine, dans une situation beaucoup plus vulnérable que par le passé. L’Ukraine est désormais inquiète de ce territoire séparatiste acquis à la Russie. Sur le plan économique, les exportations transnistriennes se font toutefois essentiellement vers les marchés européens. Les Transnistriens sont certainement plus anxieux par rapport à leur devenir politique et socioéconomique que par le passé. Et la présidence de Maia Sandu, depuis 2020, s’est attachée à relativiser la question transnistrienne. La priorité n’est pas donnée à la réintégration de la Transnistrie au sein de la Moldavie, mais à l’intégration européenne. Le rapprochement avec l’UE s’est donc effectué en dépit de la Transnistrie, avec une présidente pro-européenne perçue comme hostile à la Russie. Les électeurs et des élites de Transnistrie attendront les résultats du second tour pour mieux se positionner.
Vous avez publié plusieurs livres sur la Moldavie. Qu’est-ce qui vous fascine tant dans ce pays?
La Moldavie est un Etat qui, à tort, a été jusqu’à récemment trop peu étudié. Elle se situe pourtant véritablement à la croisée des mondes. Seule République soviétique latine de l’Union soviétique, indépendante depuis 1991 et partiellement tentée par une réunification avec la Roumanie et un rapprochement avec la Russie, elle est un résumé des contradictions frappant l’Europe. C’est ce que j’ai essayé de développer dans mes ouvrages, ainsi que dans de nombreux articles. Cet espace nous dit beaucoup des évolutions connues par le continent.
« La Moldavie est un résumé des contradictions frappant l’Europe »
Le Temps
Un pari qui a tourné court car cette victoire sur le fil, sans remettre en cause les négociations d’adhésion à l’UE, « affaiblit en quelque sorte l’image pro-européenne de la population et le leadership de Maia Sandu », analyse pour l’AFP le politologue français Florent Parmentier, spécialiste de la région.
