Victoire pro-européenne en Moldavie : «Elle traduit un lien plus distendu avec la Russie» (PARMENTIER – Le Figaro)

Par Amaury Coutansais-Pervinquière

Publié le 4 novembre 2024 à 17h44, mis à jour à 17h44

ENTRETIEN – Maia Sandu, candidate sortante, a remporté le second tour de l’élection présidentielle dimanche. Une victoire liée à son discours en faveur de l’Union européenne, qui a mobilisé la diaspora, analyse le chercheur Florent Parmentier.

Maia Sandu, candidate sortante, a remporté dimanche le second tour de l’élection présidentielle moldave avec 55,33% des suffrages malgré de fortes ingérences russes. Deux semaines auparavant, les Moldaves avaient approuvé à une courte majorité l’inscription de sa vocation européenne dans la Constitution. Ces deux votes tiennent beaucoup à la mobilisation de la diaspora, majoritairement favorable à l’intégration au camp occidental.

Florent Parmentier est docteur en science politique, secrétaire général du CEVIPOF (centre de recherches politiques de Sciences Po Paris) et chercheur associé au Centre de géopolitique d’HEC. Il est l’auteur de La Moldavie à la croisée des mondes (éditions non lieu, 2019).

LE FIGARO.- Comment analyser les résultats du second tour de l’élection présidentielle en Moldavie ?

Florent PARMENTIER. – Maia Sandu a remporté une victoire nette. Elle se situe dans la fourchette haute de ce que prévoyaient les sondages, qui peinent à estimer la mobilisation de la diaspora moldave. Celle-ci a voté à 80% pour Maia Sandu. Cependant, son opposant, le socialiste Alexandr Stoianoglo (plutôt proche de la Russie, NDLR), a obtenu la majorité des voix sur le territoire moldave avec 51% des voix. La large victoire de Maia Sandu est donc une défaite sur le terrain. Elle intervient après un succès étriqué au référendum validant l’adhésion à l’Union européenne (50,4%) il y a deux semaines. Enfin, la participation est assez nettement supérieure à celle des seconds tours en 2016 et 2020, pour les précédentes élections présidentielles.

Maia Sandu a obtenu quasiment le même nombre de votes qu’il y a quatre ans. Son adversaire, en revanche, a largement mobilisé en Moldavie. La carte électorale est, à cet égard, frappante. Si 80% de la diaspora a voté pour la présidente sortante, la Gagaouzie (une région autonome peuplée de Turcs où l’empreinte de la Russie est très forte, NDLR) a voté à 97% pour Alexandr Stoianoglo. À Taraclia, 94% des suffrages se sont portés vers lui également alors que cette région est marquée par une forte minorité bulgare. Ensuite, le Nord et le Sud du pays votent traditionnellement pour des candidats dits pro-russes et le Centre et l’Ouest pour des candidats dits pro-européens. Ces dynamiques n’ont toutefois pas favorisé le candidat de l’opposition qui voulait imposer un vote-sanction à Maia Sandu. Cette dernière a su gagner des voix durant l’entre-deux tours.

Comment Maia Sandu a-t-elle réussi à créer une dynamique de vote en sa faveur ?

Son discours a changé entre les deux tours. Il est devenu plus dramatique entre les deux tours. Dès le soir du premier tour, alors que la police invoquait 130.000 achats de votes avant le scrutin, Maia Sandu parlait, elle, de 300.000 achats de votes sans apporter aucune preuve.

Ensuite, certains électorats comme ceux d’Irina Vlah (5,4% au premier tour), l’ancienne dirigeante (Bashkan, NDLR) de la région autonome de Gagaouzie ; de Victoria Fortuna (4,5%), que l’on soupçonne d’avoir bénéficié de l’appui d’Ilan Shor (un oligarque qui a fui en Russie après avoir été impliqué dans le vol de la banque centrale moldave, NDLR) ; enfin, de Vasile Tarlev (3,2%), ancien premier ministre (2001-2008) du parti des communistes, se sont tournés vers l’opposition. D’autres, toutefois, se sont tournés vers l’abstention. Mais la dramatisation des enjeux a permis une mobilisation importante de la diaspora.

Quelle a été la stratégie de Moscou dans ce second tour ?

Deux éléments sont à différencier : ce qui relève de l’influence et ce qui relève de l’ingérence. Tous les acteurs font de l’influence. Quand Ursula Von Der Leyen vient dix jours avant le début du scrutin pour annoncer une aide d’1,8 milliard d’euros, c’est une forme d’influence ! Elle défend en cela les intérêts de l’Union européenne, tout comme la Russie soutient certains candidats qu’elle juge favorable à ses intérêts.

Moscou a mis en place des techniques de désinformation, mais aussi de l’achat de vote avec l’aide d’Ilan Shor. Il a créé une forme de tourisme électorale, et convoyé des électeurs moldaves qui ne pouvaient voter en Russie car il n’y avait que deux bureaux de votes. Le pouvoir en place à Chisinau a été en deçà des recommandation de la commission électorale centrale qui proposait cinq bureaux de votes, mais les autorités ont assuré ne pas pouvoir garantir leur sécurité. Shor, avec le soutien de Moscou, s’est emparé de cet argument pour l’organisation du transport d’électeurs vers Bakou, Minsk ou Istanbul par avions ou par bus.

Que traduit ce résultat du lien entre la Moldavie et la Russie ?

D’abord, le camp dit pro-russe a été transformé. Le candidat d’opposition reconnaît l’agression de la Russie en Ukraine. Il souhaite poursuivre l’intégration européenne, mais ne veut pas pour autant adopter des sanctions à l’égard de Moscou. Il ne souhaite pas rejoindre l’union eurasiatique qui regroupe plusieurs pays de l’ex-URSS. Enfin, il veut garder une neutralité militaire et travailler avec la Russie quand elle peut être un partenaire de développement. On est loin des revendications pro-russes du passé. Cela traduit un lien plus distendu que par le passé avec Moscou, mais aussi une évolution de cette partie de l’électorat moldave.

Ensuite, on observe une forme de polarisation du vote en Moldavie. L’électorat en Transnistrie (une région sous occupation russe depuis 1992, NDLR) n’est pas celui qui a le plus voté en faveur d’Alexandr Stoianoglo. C’est celui de la Gagaouzie qui est pleinement au sein de la Moldavie. Cela traduit une volonté de l’électorat moldave de poursuivre l’intégration à l’Union européenne sans s’aliéner la Russie, contrairement à ce qui était perçu comme la politique de Maia Sandu : avoir un choix exclusif entre l’Union européenne et la Russie.

La victoire de Maia Sandu est-elle une défaite pour la Russie ?

Oui, car Maia Sandu est celle qui en fait le plus pour rompre toutes formes de liens avec la Russie. Toutefois, la Moldavie est une république parlementaire. Si le président est élu au suffrage universel depuis 2016, l’élection qui mettra en place des changements est l’élection législative prévue pour juillet 2025. Si Maia Sandu a servi de locomotive à son parti pour la présidentielle, elle aura du mal à obtenir une majorité pour ses réformes au parlement. Ce résultat montrera une image globale de ce que veulent les Moldaves. Celui-ci sera influencé par le résultat de l’élection aux États-Unis et par l’issue de la guerre d’Ukraine.

L’article a été publié dans Le Figaro.