ENTRETIEN. George Simion, candidat d’extrême droite et eurosceptique, est arrivé en tête du premier tour de la présidentielle en Roumanie. Alors que l’économie du pays affiche de bons indicateurs, ses électeurs sont tentés par un candidat « antisystème » et anti-Bruxelles. Des ressorts qui font le lit d’un euroscepticisme montant en Europe, selon Florent Parmentier, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors.
Publié le 05/05/25 à 18:14
Les jeux ne sont pas encore faits, mais la tendance est là. Ce lundi, les citoyens roumains se sont réveillés avec un visage sur toutes les chaînes d’info en continu : celui de George Simion, candidat d’extrême droite populiste et eurosceptique, en tête du premier tour de l’élection présidentielle. Ce fan de Donald Trump qui se rêve en « président MAGA » (Make America Great Again), a recueilli 40,5 % des suffrages. En face, le maire centriste de Bucarest, Nicusor Dan (20,9 % des voix), qu’il affrontera au second tour.
Un réel plébiscite pour un premier tour de scrutin. D’autant que George Simion, cofondateur du parti Unité des Roumains a bénéficié du report des voix de Calin Georgescu, candidat indépendant d’extrême droite, avec aussi une ligne eurosceptique. Pour rappel, ce dernier a concouru lors d’une première présidentielle, organisée en novembre 2024, mais finalement invalidée par la Cour constitutionnelle roumaine pour suspicions d’ingérence russe, notamment via le réseau social TikTok. Arrivé en tête de ce scrutin caduc, Calin Georgescu a depuis été interdit de se représenter et fait l’objet de poursuites judiciaires.
Ce qui n’a pas empêché son allié George Simion de reprendre la tête de la course électorale. « Même si l’élection n’est pas bouclée, c’est le premier enseignement de ce premier tour : les Roumains semblent plébisciter un candidat antisystème », juge Florent Parmentier, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors et HEC, spécialiste de l’Europe de l’Est. Dans une interview accordée à La Tribune, il analyse les ressorts politiques et économiques de ce scrutin, et l’illustration de la montée d’un « nouvel euroscepticisme » en Europe.
LA TRIBUNE. Quelles sont les leçons de ce premier tour de scrutin présidentiel en Roumanie ?
FLORENT PARMENTIER. Même si elle était fondée, l’annulation de la présidentielle de novembre dernier n’était pas sans danger pour la Roumanie. Le risque : renforcer le camp « antisystème », et eurosceptique, et les idées d’extrême droite. On voit que cela en prend le chemin. En face, on trouve un autre camp, pro-Europe et progressiste. Il y a donc une polarisation politique claire dans le pays. Dans le fond, ce premier tour montre qu’il y a une crise de confiance des Roumains envers leurs institutions. Les promesses électorales populistes de George Simion ont su « surfer » sur ce mécontentement.
Ce plébiscite d’un candidat eurosceptique a-t-il des causes économiques ?
Oui, assurément. L’inflation élevée dans le pays [autour de 5 %] est un vrai enjeu de court terme pour le pouvoir d’achat des Roumains. Mais lorsqu’on regarde les autres indicateurs, on se rend compte que l’économie roumaine se porte relativement bien. La richesse par habitant a progressé cette année, avec des salaires en hausse, et un PIB en croissance [+2,6% en 2025, selon l’OCDE]. Le déficit budgétaire est aussi en baisse, et la Roumanie deviendra en 2027 le premier exportateur de gaz de l’Union européenne.
Mais le gros problème est que cette bonne dynamique économique n’est pas ressentie par tous les Roumains. Beaucoup de ceux qui ont voté pour George Simion dénoncent une mauvaise répartition des richesses dans le pays, et la corruption. En outre, la dénonciation par George Simion de la « bureaucratie bruxelloise », et « son inflation de normes », parle à cet électorat.
Assistons-nous à une montée inexorable de l’euroscepticisme en Europe ?
Oui, clairement, mais il est différent ce celui qu’on a connu il y a une dizaine d’années. Déjà, les partis politiques qui portent ce genre de programme ne souhaitent plus sortir de l’Union européenne. Le Brexit et ses conséquences néfastes pour l’économie britannique, a un peu vacciné tout le monde, si je puis dire.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, chef de file des eurosceptiques en Europe, ne souhaite plus sortir de l’UE. Le changement de position est le même pour la cheffe de l’exécutif italien Giorgia Meloni, tout autant que Robert Fico, Premier ministre populiste slovaque, ou encore Marine Le Pen, figure de proue du Rassemblement national en France. Aujourd’hui, l’objectif de ces partis est plutôt de faire changer le système de valeurs sociétales au sein de l’UE, vers plus de conservatisme. Le tout, en critiquant les élites bruxelloises.
Pour le volet économique, l’essentiel de l’argumentaire de ces leaders politiques consiste à pointer une mauvaise répartition des fruits de la croissance. Ajouté à cela la surrégulation de l’UE, vous avez un cocktail qui fait monter le bloc eurosceptique en Europe.
