13 avril 2015
Florent PARMENTIER revient sur les enjeux énergétiques de la visite de travail du Premier ministre grec à Moscou les 9 et 10 avril 2015. Cet entretien s’inscrit dans une série consacrée par EAP à cette visite.
EurAsia Prospective (EAP) : quels sont les termes de la négociation énergétique entre la Fédération de Russie et la République ? La Russie utilise-t-elle l’arme du gaz – que vous étudiez en détail depuis plusieurs années – pour faire pression sur la Grèce ? Les échanges économiques entre la Grèce et la Russie se réduisent-ils à un troc hydrocarbures contre nourriture?
Florent PARMENTIER (FP) : lorsque l’on parle de « l’arme énergétique », on oublie généralement de prendre en compte plusieurs éléments. Le premier est que la consommation d’énergie de la Grèce a plutôt baissé ces dernières années, en raison de la crise économique. Or, c’est plutôt lorsqu’il y a des besoins croissants en énergie que la pression peut se faire sentir. De plus, la part des énergies fossiles tend à baisser dans le mix énergétique au profit des renouvelables (l’hydroélectricité, l’éolien et le photovoltaïque), ce qui là aussi amoindrit tout risque de relations trop étroites avec la Russie. L’approvisionnement en gaz de la Grèce est en outre diversifié : du gaz russe transite par la Bulgarie, mais il y a également du gaz du Moyen-Orient qui passe par la Turquie et la Grèce reçoit du GNL de l’Algérie. Les relations économiques sont donc bien multiformes, et ne se réduisent pas à la question du gaz russe.
EAP : qu’est-ce que le projet Turkish stream? A quels autres projets de gazoducs russo-européens fait-il concurrence? Quel est son stade de développement? Quels sont les intérêts de la Grèce dans le développement de Turkish stream ?
FP : il faut revenir à l’origine du projet de gazoduc Turkish stream, dont l’objectif est d’approvisionner la Turquie en gaz russe via la mer Noire. Son annonce par Vladimir Poutine début décembre 2014 est consécutif à l’abandon du projet South Stream, qui n’a lui-même pas survécu à la chute du projet Nabucco. Ce nouveau projet aura à faire face à la concurrence du gazoduc transadriatique (TAP), qui passerait également par la Grèce et dont la particularité est d’éviter le territoire de la Russie.
La réalisation du Turkish stream aurait une conséquence géopolitique majeure, au-delà de la confirmation du rôle de la Russie de fournisseur de gaz pour les Européens, à savoir l’avènement de la Turquie comme pays clé du transit des ressources post-soviétiques vers les marchés européens. Evidemment, ce gazoduc a également un impact sur la situation géopolitique de la Grèce, et ce pour au moins trois raisons. En premier lieu, la relation avec la Russie revêt une importance primordiale à l’heure où le pays est mis sous pression par ses partenaires européens ; les autorités en place cherche à trouver de nouveaux soutiens dans la situation actuelle, et parallèlement Moscou est à la recherche de partenaires en Europe afin d’amoindrir l’effet des sanctions. Par contraste, ce projet engendre des pressions de la part des Américains, qui ne voient pas d’un bon œil ce projet et tenteront de le faire échouer, en encourageant le projet concurrent. Enfin, ce projet amènerait à la création d’un hub à la frontière gréco-turque, contraignant les deux pays à s’entendre sur le plan énergétique. La Grèce deviendrait alors elle aussi un pays de transit de premier plan pour les autres marchés européens, et plusieurs pays sont intéressés, des Balkans à la Hongrie.
EAP : la relance de l’économie grecque passe-t-elle par du gaz russe à bas prix ?
FP : il est certain que l’approvisionnement en énergie peu chère est généralement un atout pour une économie industrielle. Cependant, il ne faut pas oublier que le système productif grec est pour le moment atrophié après plusieurs années de crise, et que de fait le secteur secondaire n’y représente aujourd’hui qu’un cinquième du PIB. Toutefois, un prix bas de l’énergie constitue également un moyen de redonner du pouvoir d’achat aux ménages : c’est un argument auquel les partisans de Syriza ne seront pas insensibles.
Par ailleurs, depuis quelques années, la Grèce place une bonne partie de ses espoirs dans les ressources de son sous-sol maritime. On sait que le destin de la Grèce a souvent été lié à la mer, et il semble qu’une fois de plus, ce soit de nouveau le cas ! Le développement d’une production endogène serait beaucoup plus avantageux pour la Grèce que des approvisionnements bon marchés de l’extérieur, afin de résorber une partie de l’endettement du pays. Les potentialités en gaz et en pétrole sont énormes, mais il faudra plusieurs années afin d’en profiter. D’où la tentation des autorités ne ralentir un certain nombre de privatisation, notamment des entreprises énergétiques qui pourraient bénéficier de la manne sans que la Grèce n’en retire tous les bénéfices possibles…