Christina VENARD – @ChristinaVnrd
« Des tentatives méthodiques sont entreprises pour perturber d’une manière ou d’une autre l’équilibre stratégique. (…) Le risque de militarisation de l’Arctique existe. » – Vladimir Poutine
Following the start of the Ukrainian crisis, the Arctic has been a region of renewed confrontation resulting in a growing militarization. This situation tends to undermine the efforts that have been made as regards to the strengthening of intergovernmental cooperation which stands out as crucial for Moscow’s strategy in the Arctic.
Un climat de tension ravivé
L’Arctique connaît, en son sein, des rapports de force considérables qui tendent à progressivement remettre en question la pertinence d’une coopération multilatérale entre les Etats riverains.
Zone privilégiée par les sous-marins nucléaires, la région s’impose comme un territoire où l’affrontement entre puissances se traduit, notamment depuis le début de la crise ukrainienne, par une recrudescence des manoeuvres militaires. Ce phénomène révèle les tensions sous-jacentes entre les Etats riverains membres de l’OTAN (Canada, Danemark, Etats-Unis, Islande, Norvège), d’une part, et la Russie, d’autre part. En effet, dans la perspective russe, le redéploiement croissant de troupes en Arctique et le réarmement des frontières du pays font écho à la préoccupation grandissante de Moscou quant aux ambitions de l’OTAN dans la région perçues comme une véritable menace à l’encontre de la souveraineté russe.
Une militarisation affirmée de l’Arctique sur le long terme
Priorité en matière de sécurité nationale pour les dirigeants russes (2), l’Arctique est, notamment depuis 2013, le théâtre de nouvelles initiatives sur le plan militaire.
L’une des ambitions majeures de Moscou dans cette optique, consiste en l’établissement d’une force permanente garantissant la sécurité des intérêts russes dans la région. Le resserrement du maillage des bases militaires comme celle située sur l’île Graham Bell au sein de l’archipel François Joseph, le déploiement de brigades arctiques (3), l’inauguration de cités militaires, notamment sur les îles Kotelny (archipel de Nouvelle-Sibérie) (4) et Wrangel (5), ainsi que la création d’unités de drones à l’instar de celle mise en place au sein de la péninsule des Tchouktches (6), répondent à ces exigences de sécurité nationale.
Dans une perspective plus offensive, les récentes manoeuvres militaires russes (7), aussi bien aériennes (8) et terrestres que sous-marines, d’une ampleur comparable à celles réalisées au cours de la Guerre Froide, témoignent de cette militarisation grandissante, conséquence directe d’une défiance exacerbée entre les Etats riverains de l’Arctique. Face aux agissements militaires russes, des stratégies de riposte de la part des autres Etats riverains, notamment des Etats-Unis et du Canada, n’ont pas tardé à se mettre en place. Le gouvernement de Stephen Harper a, pour sa part, pris la décision de réaliser de nouvelles manoeuvres militaires au large de l’île de Baffin (9). Enfin, le Commandant de la Défense Aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD – North American Aersopace Defense Command) a réalisé en mai dernier de nouveaux exercices menés de manière conjointe par les Etats-Unis et le Canada (10).
Face à ces évolutions, l’émergence d’un potentiel conflit au sein de la zone arctique inquiète l’ensemble de la communauté internationale. Il semble néanmoins essentiel de souligner que cette situation de défiance entre Etats riverains, qui entraîne l’Arctique vers un terrain d’affrontement, peut être imputée à l’absence d’organes de coopération régionale habilités à traiter des questions de sécurité ou de prévention des conflits au sein de la zone (11).
La coopération multilatérale comme condition sine qua non
Avant même la fin de la Guerre Froide, en 1987, dans son discours de Mourmansk, Mikhail Gorbatchev mettait en avant la volonté de transformer l’Arctique en une zone de paix et de coopération. Les années suivantes se sont ainsi caractérisées par une multiplication des organisations et initiatives régionales à l’instar du Conseil Euro-Arctique de Barents créé en 1993, du Conseil de l’Arctique créé à Ottawa en 1996 ou encore de la Déclaration d’Ilulissat du 28 mai 2008.
Du point de vue de Moscou, le renforcement de la coopération avec les autres Etats arctiques s’établit comme un enjeu fondamental en vue de futurs développements au sein de la région. Sur le plan économique, la collaboration, notamment dans la perspective de projets d’exploitations conjoints pour la production de pétrole, permet à la Russie de bénéficier de technologies particulières sans lesquelles elle ne pourrait valoriser, de manière optimale, les richesses de son territoire et de son sous-sol. L’exploitation des ressources, compte tenu de son caractère technologiquement et financièrement exigeant, tend à rendre les compagnies russes dépendantes des savoir-faire européens. Une configuration qui, dans le cadre des sanctions à l’encontre de Moscou, fragilise l’ambitieuse dynamique de la Russie en Arctique sans pour autant totalement la remettre en cause (12).
Dans la perspective du Conseil de l’Arctique, depuis le début de la présidence américaine, la coopération reste de rigueur, notamment en matière environnementale. Pour l’Amiral Robert J.Papp Jr, représentant spécial du Département d’Etat pour la zone arctique, l’émergence d’un consensus interétatique au sein du Conseil s’impose comme primordiale, les Etats-Unis souhaitant privilégier les initiatives durables et éviter toute velléité qui pourrait être préjudiciable à leurs intérêts dans la région (13).
Christina Venard @ChristinaVnrd
Références
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Sputnik France – L’équilibre stratégique de la Russie menacé (Poutine), 27 février 2013: http://fr.sputniknews.com/politique/20130227/197655192.html
- La présence militaire permanente en Arctique et la possibilité de défendre nos intérêts d’Etat par des moyens militaires font partie de notre politique visant à garantir la sécurité nationale de la Russie. (Sergueï Choïgou, ministre de la Défense russe) in Sputnik France – Arctique: La Russie prête à défendre ses intérêts par les armes, 25 février 2015: http://fr.sputniknews.com/international/20150225/1014901049.html
- La Russie envisage d’achever d’ici la fin de l’année la mise en place des infrastructures pour le déploiement de ses “brigades arctiques”. in Sputnik France – Arctique: Les infrastructures militaires russes achevées d’ici fin 2015, 30 mai 2015: http://fr.sputniknews.com/defense/20150530/1016340909.html
- Des sites militaires sont en chantier sur les îles Kotelny. in Sputnik France – Arctique: La Russie construira 13 aérodromes militaires et 10 radars, 28 octobre 2014: http://fr.sputniknews.com/defense/20141028/202844446.html
- Sputnik France – Arctique: une cité militaire russe inaugurée sur l’île Wrangel, 22 octobre 2014: http://fr.sputniknews.com/defense/20141022/202788997.html
- Sputnik France – Arctique: La Russie crée une unité de drones, 13 novembre 2014: http://fr.sputniknews.com/defense/20141113/202976262.html
- L’Express – Vladimir Poutine mobilise 40000 militaires pour des exercices, 16 mars 2015: http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/vladimir-poutine-mobilise-40-000-militaires-pour-des-exercices_1661530.html
- Sputnik France – L’Arctique, une région prioritaire pour l’Armée de l’air russe en 2015, 1er décembre 2014: http://fr.sputniknews.com/defense/20141201/203122396.html
- Dans un discours aux accents nationalistes prononcé devant des troupes participant à une série de manoeuvres militaires au large de l’île de Baffin, M. Harper a parlé de la façon dont le Canada ne devait jamais baisser la garde face à l’impérialisme russe. in Le Huffington Post (Québec) – Arctique: Le Canada doit être prêt à répondre à d’éventuelles incursions de Moscou, dit Harper, 26 août 2014: http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/08/26/arctique-canada-doit-etre-pret-a-repondre-eventuelles-incursions-de-moscou-dit-harper_n_5718301.html
- CBC News – Fighter Jets Fly North for NORAD Exercise Amalgam Dart, 25 mai 2015: http://www.cbc.ca/news/canada/north/fighter-jets-fly-north-for-norad-exercise-amalgam-dart-1.3086520
- L’Arctique reste dont partagé entre concurrences et volontés de coopération, tout en restant le théâtre d’une forte pression qui n’a pas décru depuis la fin de la Guerre Froide. D’autant plus qu’aucun des organes de coopération régionale n’est habilité à traiter des questions de sécurité ou de prévention de conflits. Le plus important d’entre eux, le Conseil de l’Arctique, s’interdit même de traiter de ces enjeux. in Slate – L’Arctique, l’autre front russe?, 17 avril 2014: http://www.slate.fr/story/83479/militarisation-arctique-russie
- Le Huffington Post – Comment la Russie contourne les sanctions pour forer en Arctique, 12 août 2014:http://www.huffingtonpost.fr/mika-mered/comment-la-russie-contourne-les-sanctions-pour-forer-en-arctique_b_5668707.html
- Sputnik France – Diplomate US: la coopération avec Moscou sur l’Arctique essentielle, 15 juin 2015:http://fr.sputniknews.com/international/20150615/1016544801.html