Pierre Verluise, docteur en géopolitique, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), co-auteur de Géopolitique de l’Europe. De l’Atlantique à l’Oural, Presses Universitaires de France.
- EurAsiaProspective : M. Verluise, vous avez publié un nouvel ouvrage cette année avec Gérard-François Dumont, Géopolitique de l’Europe. De l’Atlantique à l’Oural (Presses universitaires de France). Quelles en sont les grandes lignes ?
Pierre Verluise : Il s’agit de proposer des clés de lecture géopolitiques pour l’Europe géographique. L’ouvrage peut intéresser aussi bien le passionné d’actualité qui veut situer un sujet récurrent en perspective – comme les migrations – qu’un étudiant en Institut d’Etudes Politiques, à l’Université ou en Classe prépa ECS qui entend maîtriser le programme. D’autant que l’Europe n’est pas tombée depuis longtemps aux concours des grandes écoles de commerce, autant dire qu’on se rapproche d’un sujet HEC sur cette zone. Les Etats-Unis, l’Afrique, les espaces maritimes ont été « utilisés »… restent à sortir du chapeau l’Europe et quelques autres sujets, bien sûr.
L’ouvrage traite aussi bien des membres de l’UE que des candidats, des voisins de l’Est que de ceux du Sud. L’OTAN n’est pas négligée, bien au contraire puisque la chronologie démontre que ce sont les élargissements de l’OTAN qui définissent le périmètre et le tempo de ceux de l’UE. La Russie et l’Ukraine font l’objet de larges développements actualisés. Ajoutons que l’ouvrage se distingue par 30 cartes en couleurs. Ce qui permet de préparer une partie discriminante de l’épreuve : la réalisation d’une carte.
- EAP : En termes générationnels, il semble qu’il existe aujourd’hui une vraie coupure entre des quadra et des quinquas pour lesquels les idées européennes restent importantes, notamment sur le plan géopolitique, et des jeunes générations qui en sont plus détachées (l’euro, la crise économique et la paix faisant partie de leur environnement depuis leur naissance). Partagez-vous ce constat ?
PV : Je ne dispose pas des données sociologiques pour me prononcer sur cette hypothèse. En revanche, je peux confirmer pour l’avoir vérifié des dizaines de fois avec des étudiants : l’affirmation « L’Europe, c’est la paix » ne fait plus rêver. C’est regrettable, mais cet argument recevable ne « passe plus la rampe », justement parce que les plus jeunes générations n’ont jamais été confrontées directement à la guerre, en grande partie grâce à la construction européenne. Cela ne sert à rien de se lamenter de cette forme d’ « injustice », mais il faut inventer une autre thématique si l’on veut susciter un minimum d’adhésion.
Je propose de réfléchir de manière logique : quelle est la première préoccupation des Européens et plus particulièrement des jeunes ? Chacun connaît la réponse : l’emploi. Que l’UE se donne les moyens de démontrer – dans les faits – que « L’Europe, c’est l’emploi » et l’image de la construction européenne sera relancée pour deux décennies. La bataille pour l’emploi et la compétitivité vaut un effort plus conséquent que le service minimum assuré jusqu’ici par les institutions européennes.
- EAP : Votre livre propose une réflexion prospective originale de l’Europe. Le pessimisme français sur l’Europe est-il unanimement partagé ?
PV : Je ne sais pas si il y a un pessimisme spécifiquement français à l’égard de l’Europe. En revanche, en fonction de leur date d’adhésion les pays peuvent avoir des expériences différentes. Des pays qui ont retrouvé leur souveraineté depuis peu et ont cédé des pans de souveraineté en entrant dans l’UE sont réticents à l’idée de se voir imposer des quotas en matière migratoire. Un des grands défis des prochaines années consiste à construire des approches à la fois confrontées et partagées des grandes questions de géopolitiques interne et externe de l’UE. Le débat autour des quotas de réfugiés à répartir entre pays membres est un exemple pertinent de la différence des appréciations. Il importe de multiplier les échanges croisés entre pays membres à propos de sujets comme : les migrations, les régionalismes, l’euro, le vieillissement, mais aussi l’effacement du poids économique relatif de l’UE par rapport au monde, ses vecteurs de puissance, les relations avec les Etats-Unis, la Russie, la Chine et plus largement les pays émergents et l’Afrique