Cyrille BRET – Florent PARMENTIER
Le 24 avril 2016, Norbert Hofer, le candidat du parti d’extrême droite FPÖ, a recueilli plus de 36% des voix au premier tour des élections présidentielles en Autriche. Ces résultats préfigurent-ils ceux des scrutins nationaux en Allemagne fin 2016 et en France en 2017 ? Par-delà les spécificités politiques autrichiennes, ils adressent une série d’avertissements à l’Europe : la « démocratie illibérale » d’Europe centrale et orientale est désormais le principal risque pesant sur la cohésion de l’Union.
Retrouvez la tribune ici : Tribune Mitteleuropa Bret Parmentier
(Photo : Heinz-Christian STRACHE et Norbert HOFER)
Le 24 avril 2016, Norbert Hofer, le candidat du parti d’extrême droite FPÖ, a recueilli plus de 36% des voix au premier tour des élections présidentielles en Autriche. Ce parti créé par d’anciens officiers SS, infléchi dans un sens libéral et européiste par la suite et enfin réformé dans un sens populiste sous Jörg Haider, est en position d’accéder à la magistrature suprême dans ce pays charnière entre l’Est et l’Ouest de l’Europe.
Ces résultats préfigurent-ils ceux des scrutins nationaux en Allemagne fin 2016 et en France en 2017 ?
Bien sûr, ce petit pays (8,5 millions d’habitants) a ses singularités politiques : il sort d’une période de grande coalition entre la gauche et la droite et exprime depuis longtemps sa défiance envers l’islam, la Turquie et les migrants. Toutefois, ces résultats adressent une série d’avertissements à l’Europe : la « démocratie illibérale » d’Europe centrale et orientale est désormais le principal risque pesant sur la cohésion de l’Union.
La normalisation de l’extrême droite est achevée
Avec plus d’un tiers des voix à un scrutin majeur, le FPÖ devance nettement le candidat écologiste (20,4%), ainsi que la candidate indépendante (18,5%). Il brise le « plafond de verre » des 25% à l’échelle nationale et marginalise les deux grands partis traditionnels issus de la dénazification : le parti social-démocrate SPÖ et le parti conservateur ÖVP qui avaient alterné à la présidence et à la chancellerie depuis le départ des troupes alliées en 1955. Déjà fortement implanté dans certaines régions et présent au Parlement depuis plusieurs mandatures (il compte aujourd’hui 40 sièges sur 183 au Conseil national), le FPÖ peut devenir la force centrale de l’échiquier politique autrichien dans la perspective des prochaines élections parlementaires prévues pour 2017.
Les prérogatives du président de la République autrichienne sont protocolaires. Mais la possibilité d’une victoire au second tour le 22 mai signale aux partis politiques d’Europe que la promotion des thèmes identitaires peut faire gagner les élections au plus haut niveau.
Le FPÖ montre que, dans une démocratie libérale traditionnelle, les campagnes identitaires dépassent la fonction tribunicienne et visent à devenir des programmes de gouvernement. La « normalisation » de la droite radicale est accomplie. Elle a désormais un horizon évident : c’est l’accession au pouvoir suprême.
La droite identitaire n’est plus extrême, elle devient centrale en Europe.
Jörg HAIDER, président du FPÖ, et Wolfgang SCHÜSSEL, Chancelier d’Autriche,
après leur victoire aux élections générales de 2000
L’Europe se clive sur la question identitaire
La double question de l’islam et des réfugiés devient le casus belli des prochaines échéances électorales continentales. Le principal clivage interne européen ne passe ni entre la « vieille Europe » et la « nouvelle Europe », ni entre anciennes démocraties libérales et nouvelles démocraties post-soviétiques. Que Bruxelles, Paris et Berlin ne s’y trompent pas : l’enjeu n’est plus l’intégration des Etats qu’on persiste à appeler « Nouveaux Etats membres » à Bruxelles alors qu’ils ont intégré l’Union depuis plus d’une décennie. Le principal défi est la solidarité réclamée à l’Est pour se garder du Sud.
Les Etats-membres fondateurs de l’Union européenne, au premier chef la France et l’Allemagne, doivent entendre l’Autriche à défaut d’écouter le FPÖ : la solidarité européenne, la volonté de peser sur les menaces moyen-orientales et l’action sur la scène internationale ne peuvent être imposées aux pays d’Europe centrale et orientale sans développer le risque de backlash identitaire.
Robert FICO, Premier ministre de Slovaquie
La « démocratie illibérale » peut se tourner contre l’Europe
On qualifie souvent la Hongrie d’Orban et la Slovaquie de Fico de « démocraties illibérales ». Il s’agit de régimes combinant l’organisation de compétitions électorales avec une réduction des libertés publiques, du pluralisme et de contre-pouvoirs.
La tentation « illibérale » serait à la fois le résultat d’une désoviétisation tardive, de l’importation de schémas poutiniens, d’une reconversion économique difficile, et d’un grand élargissement raté en 2004. Les élections polonaises d’octobre 2015 ayant porté le parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir et les élections autrichiennes de dimanche dernier bousculent cette lecture.
D’une part, le virage identitaire est aussi le fait d’économies prospères : en 2015, la Pologne a joui d’un taux de croissance de 3,6% et l’Autriche est presque au plein emploi (5,7% de chômage). L’illibéralisme n’est pas une idéologie de déclassés.
D’autre part, l’illibéralisme n’est pas une doctrine importée depuis la Russie, c’est une tendance européenne à l’œuvre dans de nombreux échiquiers politiques européens. Le FPÖ développe les thèmes identitaires et anti-européens depuis l’arrivée de Jörg Haider à la tête du parti en 1986. La tentation illibérale peut se tourner contre le culte du droit et des libertés fondametales en de l’Union.
Enfin, l’illibéralisme n’est pas seulement un travers de centre-européens encore mal intégrés, c’est une doctrine qui sape la solidarité continentale au nom de la lutte contre le Sud. Et ce thème a des attraits à Paris, à Bruxelles, à Londres ou à Amsterdam.
Suite à ces trois avertissements, quels que soient les résultats du second tour des présidentielles autrichiennes du 22 mai 2016, les Européens doivent réagir : à l’est, il devient essentiel de réagir sans condescendance à la triple poussée identitaire, illibérale et anti-islamique de nombreux Etats-membres.
Première ministre de Pologne, Beata SZYDLO, et Jaroslaw KACZINSKY, chef du parti PiS