Entretien avec Guillaume FARDE (Spallian et Sciences-Po) sur les études de sûreté et de sécurité publique

Guillaume Farde (@GFarde), vous êtes maître de conférences à Sciences Po et directeur associé de Spallian. Vous venez de publier un ouvrage collectif sur les études de sécurité (Les études de sûreté et de sécurité publique). Brièvement, en quoi les ESSP consistent-elles ? Quels sont les principaux risques visés par les ESSP ?
Les études de sûreté et de sécurité publique sont un document rendu obligatoire par le droit de l’urbanisme et qui consiste en la production d’un document technique qui analyse des risques spécifiques à des opérations d’aménagement ou de construction. Parmi ces risques, les plus fréquents sont ceux liés à la malveillance : l’ouvrage pourrait être dégradé et ceux qui le fréquentent pourraient être l’objet de vols et/ou de violences. En second lieu, toute une série de risques concerne le détournement de l’usage de l’ouvrage. Un hall de gare pourrait par exemple être détourné de son usage et devenir un lieu de deal de produits stupéfiants ou un lieu de squat.
Le rôle de l’ESSP est précisément de prévenir ces risques en agissant sur l’architecture.
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Dans votre ouvrage, vous avancez que « l’ESSP est aujourd’hui plus qu’hier une composante essentielle de la sécurité d’un territoire et négliger sa réalisation peut lourdement compromettre la sécurité de ses habitants » (p.15). Vous mobilisez le concept de « prévention situationnelle » : d’où nous vient-il ? 
La prévention situationnelle est un concept qui naît aux Etats-Unis dans le courant des années 1970. Les criminologues qui l’ont formalisé postulent qu’il est possible en agissant sur l’urbanisme de réduire la délinquance. L’architecture est un levier d’action non négligeable. Le réaménagement d’un espace peut décourager la commission de certains crimes et délits en les rendant plus risqués à commettre, plus compliqués à organiser ou tout simplement moins intéressants en termes de bénéfices. Par exemple, intensifier l’éclairage d’un bâtiment ou d’un ensemble d’habitations, privilégier les grandes allées dégagées aux recoins, limiter la taille des arbustes pour dégager la vue dans les axes de circulation, sont autant de petites modifications architecturales et urbanistiques qui ont des effets concrets sur la commission des actes de malveillance.
L’ADN de ce courant de la criminologie est, si je puis m’exprimer ainsi, très urbain. C’est aux Etats-Unis que les premières mégapoles modernes sont apparues. Il n’est pas surprenant que nous leur devions la paternité de ce concept. En France il n’a été formalisé qu’en 2001 par la loi sur la sécurité publique. L’ESSP est indubitablement une transcription des principes de la prévention situationnelle en droit français.
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La métropolisation est une tendance de fond dans les pays émergents, de la Chine au Brésil en passant par l’Inde, dont les besoins en expertise en matière de sécurité et d’urbanisme sont énormes. La France dispose-t-elle de savoir-faire en la matière qu’il serait urgent d’exporter ?
Je crois en effet, que les Etats émergents pourraient s’approprier certains des principes de la prévention situationnelle. Je parle bien d’appropriation et non de transposition ou d’inspiration car il serait à la fois très présomptueux (voire ethnocentriste) et proprement inefficace de vouloir calquer le modèle très français de l’ESSP à des situations urbanistiques et criminologiques par essence très différentes. Je crois beaucoup plus en une appropriation raisonnée et une adaptation des principes de la prévention situationnelle. Lorsque pour Spallian nous avons, début 2016, réalisé l’étude de sécurité du Justice Palace de Riyad, nous avons bien-sûr raisonné à partir de notre expérience française. Mais notre travail a surtout consisté en un aménagement des grands principes de l’ESSP (notamment dans sa phase de diagnostic) aux particularités urbanistiques – y compris dans leur composante sociologique – et criminologiques (exposition au risque terroriste notamment) de la ville de Riyad.
Pour conclure, la prévention situationnelle – plus que l’ESSP elle-même qui en est la transcription française – est un concept d’avenir et sa diffusion aménagée – sans ethnocentrisme – saura contribuer à n’en pas douter à l’accompagnement du processus métropolisation que connaissant les Etats émergents.

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