Angela Merkel a déclaré que l’Europe serait naïve de penser qu’elle pourra toujours compter sur les autres pour résoudre ses problèmes avec ses voisins, les autres étant les Etats-Unis. Cette déclaration visait les pays d’Europe de l’Est. Pourquoi est-ce que Angela Merkel tient cette réflexion aujourd’hui ? Quel est le contexte actuel dans lequel s’inscrit cette déclaration ?
La déclaration d’Angela Merkel est opportune, dans la mesure où elle arrive au moment où des troupes américaines arrivent sur le sol polonais afin de renforcer la défense du pays. Depuis l’annexion de la Crimée en mars 2014, l’inquiétude est réelle dans les Etats baltes, qui ont commencé à prendre un certain nombre de mesures contre les possibilités d’une « guerre hybride » menée par la Russie. Elle l’est paradoxalement également à Varsovie, pays plus grand, sans minorité russe et à la défense plus solide, puisque la Pologne a entrepris un politique de réarmement.
Dans ce contexte d’inquiétude, et voyant les divergences possibles entre d’une part la volonté de Trump de se rapprocher de Vladimir Poutine, et d’autre part le souhait de la Pologne et des Etats Baltes, Angela Merkel souhaite rappeler qu’il existe aussi des responsabilités européennes dans la défense du continent. Sa prise de position permet de rappeler que Donald Trump a volontairement dénigré l’OTAN lors de déclarations qui pointaient le coût de cette organisation pour les Etats-Unis.
Il est donc naturel qu’elle prenne en compte ce problème, et qu’elle le rappelle quelques jours avant l’intronisation de Donald Trump, qui pourrait avoir de grandes conséquences sur la défense en Europe. Cela lui permet paradoxalement d’avancer comme un pôle de l’Europe de la défense, alors même qu’elle ne dispose pas de la première armée du continent, se situant derrière la France en la matière. Aux dirigeants français de rappeler que c’est vers Paris que l’on se tourne pour intervenir en Afrique ou au Moyen-Orient, et non vers Berlin.
Qu’est-ce que l’Europe peut faire pour apporter des solutions à ses difficultés avec ses voisins, sachant que la Russie impose un tempo sur les questions internationales ?
La Russie est effectivement capable d’imposer son tempo sur un certain nombre de questions internationales. On voit bien par exemple comment, sur la question syrienne, Vladimir Poutine a su utiliser l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) de septembre 2015 pour impulser une nouvelle phase du conflit syrien, pendant laquelle la Russie a été impliquée beaucoup plus directement pour défendre ses positions. Cette intervention russe est intervenue après l’échec des volontés françaises et américaines d’intervenir militairement contre Bachar el-Assad. A cet égard, le pouvoir russe s’est moins motivé par la défense du régime en place que par la protection de l’armée syrienne et de la souveraineté de l’État. On pourrait également rappeler que dans le contexte du conflit ukrainien, la Russie a été capable d’imposer son rythme, en sachant, pour commencer, comment mener une guerre hybride et comment résister au coût des sanctions européennes, qui ont le maximum d’effets à court terme, avant que les stratégies de substitution commencent à faire leurs effets. Politiquement, on voit bien que Vladimir Poutine se trouve aujourd’hui dans un tempo qui lui est propre, celui des élections présidentielles russes qui sont normalement prévues en 2018, et qui lui imposent de proposer un nouveau récit à sa population.
Dans ce contexte, il est nécessaire de rappeler le fait que l’Europe ne garantit pas elle-même sa propre sécurité. L’idée que l’Europe puisse assumer sa défense en ultime recours ne paraît pas totalement convaincant aux yeux des interlocuteurs baltes ou polonais, qui ont le souvenir de la Seconde Guerre mondiale et de ce qui s’en est suivi. Ainsi, l’inquiétude à propos de l’élection de Donald Trump est bien réelle à Varsovie ou dans les États baltes, du fait des positions de ce dernier sur la Russie pendant sa campagne et pendant la période de transition. Est-on toujours sûr que les Etats-Unis interviendraient dans le cadre d’un conflit hybride à l’Est, alors que ? L’OTAN ne serait pas en mesure de défendre bien longtemps son flanc Est malgré ses mesures de réassurance ? La perception de l’OTAN comme bouclier ultime, valable depuis un quart de siècle, sera-t-elle toujours de mise prochainement ?
Il est évident également que l’Union européenne dispose de sa propre temporalité. Pour les pères fondateurs, l’UE est une construction politique dont le but a été à l’origine de dépasser une histoire qui avait conduit à la tenue de deux guerres mondiales en une génération. Le temps européen est donc long, mais avec l’idée d’une fuite en avant a parfois fait oublier parfois aux acteurs certaines leçons de l’histoire. Une plus grande intégration économique ne va pas nécessairement avec une paix durable. La lecture de la Stratégie globale de l’Union européenne, impulsée par Federica Mogherini (la Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité) et sortie dans la foulée du Brexit, est de ce point de vue intéressante : si l’on compare avec la stratégie de sécurité proposée par son homologue Javier Solana de 2003, le premier point qui paraît évident et le caractère le caractère pessimiste de ce document, prenant conscience de la fragilité de l’Union européenne.
En matière de sécurité, des initiatives peuvent être prises par le duo franco-allemand. Il est évident par exemple, pour prendre le cas ukrainien, que le rôle du duo franco-allemand dans le cadre du processus de Minsk est important, alors même que la Pologne se trouve exclue de ce processus. L’Allemagne a effectivement développé des liens proches avec la Russie depuis 1991, notamment du fait du poids de ces acteurs économiques en matière énergétique et des intérêts réciproques. Pourtant, il est notable que pour beaucoup d’élites politiques à Moscou, la France doit jouer un rôle particulier dans le concert européen en matière stratégique, qu’elle ne semble plus en mesure d’assumer aujourd’hui. De ce point de vue, il apparaît évident que la campagne de François Fillon, au vu de ses diverses prises de position, intéresse au plus haut point les dirigeants russes.
Pour conclure, les Européens ne doivent pas hésiter à imposer un rapport de force s’ils veulent ensuite négocier avec la Russie sur des bases équilibrées. Le fait de renforcer ses capacités de défense n’est heureusement pas nécessairement le signe d’un conflit imminent avec la Russie, mais peut au contraire favoriser le dialogue.
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