Guillaume Farde est conseiller scientifique de la spécialité « Sécurité et défense » de l’Ecole d’Affaires publiques de Sciences Po. Il revient ici pour Eurasia Prospective sur l’attentat de Londres, suite à divers entretiens dans les médias nationaux (CNEWS et LCI).
Guillaume Farde, Theresa May a remis en cause après les attentats un certain nombre d’acquis du modèle multiculturel britannique. Faut-il y voir un pays à la recherche de repères après le Brexit, ou une remise en cause salutaire vers un modèle plus « français » ?
Lier la commission d’attentats au sujet de la liberté religieuse est un terrain glissant. Entre 2005 et 2017, la Grande-Bretagne ne connaît aucun attentat majeur sur son sol. Ce sont douze années. Si le modèle multiculturel britannique était la principale cause de la commission d’actes terroristes, le pays aurait vraisemblablement été frappé plus tôt.
La vague d’attentats qui submerge Londres s’inscrit en réalité dans un contexte général où l’Europe entière est touchée. Les Anglais ont certes été touchés à 3 reprises depuis le début de l’année mais la France l’a également été à 4 reprises (Carrousel du Louvre, Orly, Champs-Elysées, Notre-Dame), sans compter l’Allemagne en décembre 2016 ou la Suède le 7 avril dernier. Entendons-nous, je ne cherche pas tant à rentrer dans une comparaison funeste que d’illustrer le fait que les causes de la recrudescence des attentats ne sont pas réductibles aux seuls choix de société de la Grande-Bretagne. Le terrorisme prospère dans les milieux défavorisés, là où la petite et la grande délinquance côtoient la misère sociale. Ce terreau-là est fertile pour les terroristes et explique en grande partie l’enkystement récent de Daech aux Philippines.
Les causes de la recrudescence des attentats en Grande-Bretagne et plus largement en Europe sont aussi et d’abord, socio-économiques. Les populations vivant en périphérie des grands centres urbains européens (Paris, Bruxelles, Londres, Berlin, Stockholm) ne se reconnaissent plus dans le projet de société qui leur est proposé et l’idéologie djihadiste est un catalyseur extrêmement puissant de leur mal-être.
Comment jugez-vous la « résilience » du peuple britannique après trois attentats en quelques semaines ? La confiance dans la police et les institutions publiques ne risque-t-elle pas de s’effondrer ?
La tenue du concert d’Ariana Grande sous haute sécurité est en soi une preuve de résilience. Malgré Manchester, malgré le London Bridge, la société britannique sait maintenir le mode de vie dont les terroristes voudraient la priver. Je note cependant une contradiction politique à vouloir maintenir la résilience – ce qui est pour moi la bonne attitude – et à relever et baisser le curseur du niveau d’alerte.
Sur un plan opérationnel je le comprends aisément : le déploiement de militaires dans Londres n’aurait eu qu’un très faible impact sur le temps nécessaire à la neutralisation des terroristes. 16 minutes entre le déclenchement de l’attaque et la neutralisation effective des auteurs est un temps extrêmement court. Sur un plan politique, le message adressé est difficilement audible : baisser un niveau d’alerte envoie le signal d’une atténuation de la menace. Il y a là un choix politique qui sera probablement sanctionné à l’occasion des législatives.
Quelles précautions doivent-être prises selon vous concernant la couverture des attentats ? Comment conjuguer liberté de la presse et pression médiatique, y compris dans une période électorale ?
La médiatisation des attaques est consubstantielle au terrorisme. L’auteur d’attentats terroristes n’existe qu’au travers de la publicité accordée à son acte. La notoriété des auteurs, le braquage des projecteurs sur l’acte lui-même, crée des phénomènes d’entrainement et du mimétisme. L’enquête déterminera si les attentats de Londres du 22 mars et ceux du 3 juin sont directement inspirés l’un de l’autre mais les similitudes des modes opératoires sont patentes.
Pour autant, je ne crois pas qu’il faille imposer une forme de black-out médiatique. Le travail journalistique participe des temps compassionnels dont a besoin la société pour se retrouver, reconnaître les victimes et leur rendre hommage. En deuxième lieu, la couverture médiatique du terrorisme n’est pas figée. Elle a fortement évolué depuis les attentats de Paris. Les noms des auteurs ne sont plus martelés jusqu’à en faire des icônes. Qui peut aujourd’hui citer à brûle-pourpoint les noms des auteurs des attentats du Carrousel du Louvre, d’Orly ou des Champs-Elysées ? Les noms de Merah ou des Kouachi sont quant à eux durablement inscrits dans les mémoires. Je veux croire dans l’évolution du travail des journalistes et dans l’adaptation de leur pratique à l’évolution de la menace.
Enfin, les médias conservent un double rôle de pédagogie – déconstruire les fake news – et d’organisation d’une riposte en termes de communication. Diffuser des images qui contribuent à la diffusion d’un sentiment de résilience (le trafic qui reprend à Orly quelques heures après l’attentat manqué, le Louvre à nouveau fréquenté, le parvis de Notre-Dame où les touristes reviennent) est une forme de riposte au sentiment de psychose que voudraient nous imposer nos ennemis.