Le très sage débat Merkel-Schulz (Laurençon sur Atlantico)

 

Fabien Laurençon revient, pour Atlantico sur le débat que les deux principaux candidats à la chancellerie ont tenu hier.

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Des 97 minutes de débat entre Angela Merkel et Christian Schulz, modéré par quatre journalistes de renom de la télévision allemande, on retiendra d’abord la remarquable tenue des débats, la liberté de ton des modérateurs, et la connaissance des dossiers – en un mot une véritable leçon de culture politique allemande, à mille lieux du débat du second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

Courtoisie, respect de part et d’autre, connaissance souveraine des dossiers pour la chancelière sortante, précision, technicité dans la maîtrise des sujets socio-économiques, humour pour son adversaire social-démocrate (mais peut-on encore parler d’adversaire tant les points de convergence ont été patents?) ont été la première caractéristique de ce débat, bien sage, trop sage sans doute. Comme le formulait la responsable du bureau de la rédaction de l’hebdomadaire Der Spiegel à Berlin, CW, sur le plateau du talk-show d’Anne Will qui a suivi, le duel tant attendu n’a pas eu lieu. Martin Schulz n’a jamais réussi à trouver la faille dans le discours parfaitement calibré et maîtrisé de la chancelière sortante, même si elle a pu faire preuve d’hésitations sur certains sujets (scandale du Diesel et avenir de l’industrie automobile allemande, fiscalité…).

Ce débat tenait en effet plus du duo que du duel tel qu’on a pu les connaître durant la campagne française d’avril 2016 ou des affrontements Trump-Clinton de l’automne 2016. C’est là sans doute que réside une limite voire une faille à terme du système à produire du consensus qu’est la Grande Coalition : les deux candidats ont en effet affiché une telle convergence à l’issue des débats, qu’on peut s’interroger sur la fragilité d’une nouvelle Grande Coalition pour le débat démocratique. Comme le rappelait Martin Schulz dans son introduction, la démocratie vit de ces confrontations. Après quatre ans de consensus ou de cogestion CDU-CSI-SPD, le risque est réel de voir le mécontentement et la frustration des électeurs chercher un autre exutoire (AfD, Die Linke…ou abstention) que les deux grands partis traditionnels, faute d’une offre politique contradictoire d’opposition répondant véritablement à leurs attentes et besoins concrets.

La crise migratoire au cœur des préoccupations des Allemands

Politique migratoire, accueil des réfugiés en 2015, regroupement familial, Corée du Nord, Turquie, retraite à 70 ans, composition de la future Grande Coalition, scandale des moteurs diesel truqués, fiscalité et justice sociale ont été les principaux sujets abordés par les deux candidats. Première surprise, la majorité des sujets portait sur la politique étrangère. Mais c’est bien la question de l’accueil des réfugiés – actuels ou futurs – qui a été l’un des points forts de ce débat télévisé, longuement commenté par les deux candidats sous tous ses aspects (regroupement familial, expulsion des demandeurs d’asyle, rétablissement des frontières extérieures de l’UE…°)

Sur la Turquie, M. Schulz a appelé à une politique de fermeté en réponse à la dérive autoritaire et autocratique d’Erdogan, c’est à dire à rompre les négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’UE – ey l’alignement sur ce point de la chancelière constitue un tournant pour la CDU, et la seule vraie sensation du débat.

Concernant la crise des réfugiés de 2015, Merkel ne regrette rien, et sans surprise se justifie par des considérations éthiques, l’urgence de la situation sur le plan humanitaire et le contexte de la politique de blocage des voisins.

Il faut également souligner la proposition de Merkel de mettre en place une loi sur l’immigration des personnels qualifiés afin de pouvoir choisir les profils présentant un intérêt pour l’industrie allemande, variante du système de « Green Card » en Europe.

Sur l’appréciation de Donald Trump et l’avenir des relations transatlantiques, les divergences sont aooarues marginales : Martin Schulz plaidant pour une diplomatie intégrant tous les autres démocraties (Canada, Mexiques…) pour tenter d’encadrer autant que possible un président américain jugé imprévisible, tandis que Merkel se contentait d’éléments relativement vagues.

A noter enfin deux grands absents du débat : la France et l’Union Européenne, à peine évoqués par l’un comme l’autre des candidats.

Qui semble l’avoir emporté selon vous ?

Sans surprise, Martin Schulz a joué la carte de l’offensive : sur la Turquie, le bilan de Donald Trump, l’annonce – promesse de la chancelière de ne pas porter l’âge limite de départ à la retraite 70 ans, l’écotaxe sur les voitures et poids lourds sur autoroute, le challenger social-démocrate a tenté à maintes reprises de déborder le discours lisse, rassurant, en guise de plaidoyer pro domo de la chancelière – sans véritablement parvenir à pousser Angela Merkel dans ses retranchements. Peu de dossiers ont permis d’identifier clairement les différences politiques respectives. C’est le consensus CDU-SPD, c’est-à-dire la Grande Coalition, qui sort grand vainqueur à ce stade.

Les sondages réalisés par ARD juste après la fin du débat sont sans appel : 55 % des Allemands interrogés jugent A. Merkel la plus convaincante¸ contre 23% pour Martin Schulz. Dans toutes les catégories (sympathie, compétence, proximité avec le peuple…), Merkel l’emporte haut la main. C’est un résultat excessivement sévère, l’un des écarts les plus importants entre la SPD et la CDU-CSU dans l’histoire des débats entre candidats à la chancellerie, tant Martin Schulz a fait une présentation solide, crédible dans l’ensemble, sans toutefois afficher cette volonté de vaincre et cette détermination qui avait permis à Gerhard Schröder de l’emporter en 1997.

Quel peut être l’impact de ce débat sur le scrutin de septembre ?

L’impact devrait être assez limité ; cependant ayons à l’esprit qu’un bon tiers des électeurs ne sait pas encore pour quels candidats il ira voter. Angela Merkel devrait continuer à gérer son avance sans difficulté tandis que Martin Schulz a très certainement raté son intervention, et par là même sa chance de reprendre l’initiative. L’écart de voix devrait donc assez peu évoluer d’ici les 3 semaines qui restent. La véritable inconnue sera le score de la FDP, et sa capacité à passer la barre des 10 %.