Affaire Skripal : entretien avec Guillaume Farde (FARDE pour LCI / Eurasia Prospective)

1. Guillaume Farde, vous êtes conseiller scientifique de la spécialité « Sécurité et défense » de l’Ecole d’Affaires publiques de Sciences Po. L’affaire Skripal, du nom de cet agent double d’origine russe et devenu britannique, a-t-elle des précédents ?

Il est vrai que les services Russes ont, tout au long de leur Histoire, pourchassé les opposants politiques des régimes en place et les agents de leurs services de renseignement qui avaient été « retournés ». Parmi les assassinats qui ont jalonné l’Histoire, celui de Léon Trotski en 1940 à Mexico des suites d’un coup de piolet est sans-doute un des plus emblématiques. Des soupçons d’assassinat entourent d’ailleurs la mort du fils de Léon Trotski, Lev Sedov des suites d’une appendicectomie pratiquée en 1938 dans une clinique tenue par des « Russes blancs ». En termes d’assassinat, la pratique de l’empoisonnement est récurrente. Dans son ouvrage paru en 2007, Le laboratoire des poisons, Arkadi Vaksberg raconte comment l’Union soviétique a conçu des poisons à des fins d’assassinats d’opposants politiques. Parmi les cas d’empoisonnement célèbres, ceux, raté, de A. Soljenitsyne dans une pâtisserie en 1971 ou encore de G. Markov en 1978 à Londres sont entrés dans l’Histoire. La ville de Londres a ainsi été le spectacle non seulement de la mort par empoisonnement de G. Markov en 1978 mais plus récemment encore de celle, très médiatisée, d’Alexandre Litvinenko au polonium en 2006.

 

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Guillaume Farde, le 13 mars dernier sur LCI

2. En quoi les services secrets russes se distinguent-ils de leurs homologues dans le traitements de leurs agents retournés ?

Les services de renseignement russes ne se distinguent pas tant par le fait qu’ils se vengent mais par le fait qu’ils le fassent savoir quitte à laisser des traces tellement ostensibles qu’elles heurtent les opinions publiques. A l’opposé, les services se renseignement britanniques se distinguent par les excellents traitements qu’ils réservent aux agents des services étrangers qu’ils sont parvenus à retourner. Il n’est pas rare qu’outre une fausse identité ils leur fournissent un logement et leur assurent une rente pour couler des jours paisibles en Grande-Bretagne. Cela rend les services de renseignement britanniques plus attractifs que d’autres pour le recrutement d’agents doubles. Dans ce contexte, l’affaire Skripal entame l’image de services britanniques à même de protéger leurs agents doubles.

3. Cette affaire ne met-elle pas à jour des failles dans le système de sécurité britannique ?

Outre qu’il n’est jamais de très positif pour un service de renseignement étranger de montrer une faiblesse dans sa capacité à assurer la protection d’agents doubles, cette séquence fragilise plus largement l’action politique de Theresa May en matière de sécurité intérieure. Alors même qu’elle a durci le contrôle de ses frontières et relevé l’exigence de vigilance de ses services de police et de renseignement après les attentats perpétrés par Daech en 2017, des substances toxiques et chimiques ont pu être introduites sur son sol et leurs possesseurs ont pu en faire un usage criminel. Theresa May n’avait pas d’autre option politique que de durcir son discours à l’adresse de Moscou pour masquer cette nouvelle faille dans la conduite de sa politique de sécurité intérieure.