«En Russie, le religieux est indissociable de l’identité nationale» (PARMENTIER pour Le Figaro)

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Florent Parmentier dresse pour FigaroVox le portrait de la Russie religieuse. Celle-ci, très marquée par un regain spirituel consécutif à la chute du système soviétique, intègre la religion à sa politique d’influence régionale. Le nationalisme permet également la cohabitation entre chrétiens et musulmans.

FIGAROVOX.- Vu depuis la France, le fait religieux en Russie semble indissociable de la vie politique. Est-ce la réalité, ou bien existe-t-il une relative autonomie du religieux par rapport à l’État

Florent PARMENTIER.- Le fait religieux est en Russie indissociable de l’identité nationale de la population majoritaire, christianisée depuis le Xe siècle. Moscou s’est revendiquée au cours de son histoire comme une «troisième Rome», après Rome et Byzance, ce qui permettait de justifier le pouvoir absolu – ce qui n’a pas empêché l’empire de s’agrandir dans des territoires dominés par d’autres religions. Après 1917, l’athéisme radical, scientifique, devient la norme, la religion orthodoxe étant plus particulièrement ciblée, mais cela n’a pas empêché Staline de mettre une pause à cette politique anticléricale après le début de l’opération Barbarossa de l’Allemagne nazie en 1941.

Aujourd’hui, sans être une religion d’État, la religion orthodoxe bénéficie d’une série de privilèges par rapport aux autres cultes, du fait de ses relations avec le pouvoir politique. Mais, malgré tout, tant le pouvoir que l’Église sont conscients qu’une trop grande proximité peut nuire à chacune des parties.

Les Russes sont quatre fois plus nombreux aujourd’hui à se dire croyants que sous l’URSS. Comment expliquez-vous ce retour massif à la religion?

Deux phénomènes permettent d’expliquer ce chiffre extrêmement évocateur: d’une part la nécessité de retrouver des repères dans une société qui avait perdu les siens ; la «fin de l’Homme rouge», pour reprendre l’expression de Svetlana Alexievitch, appelait à un nouvel horizon de sens. La religion a pu jouer ce rôle, fournissant une explication aux difficultés en cours.

D’autre part, il existait une pratique religieuse souterraine du temps de l’URSS, qui a pu sortir au grand jour avec la chute de l’Union soviétique. La nature de l’Orthodoxie, dont le pouvoir ecclésiastique est lié au pouvoir politique, peut expliquer cet état de fait. Dans ce contexte, l’appel des dirigeants politiques, notamment les présidents Eltsine et Poutine, à renouer avec une vie spirituelle prend tout son sens.

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Est-ce que toute la société russe est concernée, uniformément, par ce retour du religieux, ou y a-t-il une sociologie particulière des croyants orthodoxes?

On peut parler d’un retour général de la société, avec un recul de l’athéisme, qui concerne environ 13 % de la population, c’est-à-dire sensiblement moins qu’il y a quelques années.

Naturellement, le retour au religieux s’opère davantage dans certains milieux et certaines régions ; il est par exemple moins fort dans les grandes métropoles de Moscou et Saint-Pétersbourg que dans la région de l’Oural. Par ailleurs, il faut tenir compte également, les premières années après la chute de l’URSS, de la force des réseaux néo-protestants.

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L’article a été publié pour la première fois dans Le Figaro, et peut être trouvé en  ici.