Alors que l’OTAN repose sur une alliance visant à promouvoir « les valeurs démocratiques », comment l’organisation peut-elle faire face à la montée en puissance de dirigeants comme Viktor Orban (la Hongrie ayant intégrée l’OTAN en 1999) ou Recep Tayyip Erdogan (depuis 1952), dont les dérives autoritaires et anti-démocratiques sont régulièrement dénoncées, tout comme cela peut également être le cas de la Pologne ?
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord a été avant tout fondée en 1949 comme une alliance s’appuyant sur la défense collective pour faire face à l’URSS : toute attaque contre l’un des membres est une attaque contre l’ensemble.
Après la chute de l’URSS en 1991, elle a pu survivre à son but initial en véhiculant deux messages forts : le premier était que l’OTAN était prête à accueillir de nouvelles démocraties en son sein, afin d’aider à la consolidation du régime ; le second, implicite, était une manière de continuer à garder un œil sur la Russie afin qu’elle ne s’attaque pas aux anciennes démocraties populaires. Sur ce dernier point, on voit que les nationalistes russes et les partisans du néo-occidentalisme et du néo-conservatisme ont établi une relation contradictoire et dialectique, qui ne cesse de se dégrader. Les partisans de l’OTAN avancent que la Russie est désormais capable de frapper au-delà de ses frontières (Géorgie, Ukraine, Syrie) et qu’il faut donc dresser des lignes rouges fermes face à une Russie qui teste sans arrêt les limites. En Russie, le renforcement continue de la présence de l’OTAN aux frontières de la Russie conforte la majorité présidentielle : l’OTAN nous menace et nous devons augmenter nos forces pour garder un avantage, même face à une Europe dont pourtant les dépenses militaires sont parties à la baisse après la chute du mur de Berlin.
Si la tension grandissante entre la Russie et l’OTAN avait pu être anticipée, l’émergence de démocraties illibérales l’était moins tant la croyance dans le triomphe du libéralisme était forte dans les années 1990. Alors que l’OTAN se targuait de regrouper des démocraties, plus ou moins abouties ou tendant à l’être, cette revendication n’est plus crédible aujourd’hui avec des situations que l’on connaît en Turquie, mais aussi en Pologne et en Hongrie, avec un affaiblissement programmé des contre-pouvoirs, à savoir des institutions de l’Etat de droit. Plus que d’une attaque externe, c’est l’érosion interne qui suscite des inquiétudes de la part de l’OTAN.
A dire vrai, l’OTAN ne dispose pas de larges moyens en la matière puisqu’il s’agit essentiellement d’une organisation militaire. Son diagnostic n’est pas nécessairement adapté : attribué l’érosion des démocraties européennes à la seule Russie est probablement hors de propos, se méprenant sur la puissance réelle de la Russie et de ses objectifs ; les mouvements extrémistes, le rejet des élites, le sentiment de dépossession lié à la mondialisation peuvent être utilisés par la Russie, encourageant nos dysfonctionnements, mais on peut douter qu’elle soit à l’origine de ces phénomènes.
Turquie et Hongrie ont pu, à plusieurs reprises, suivre une position plus favorable à Moscou qu’à celle de ses alliés au sein de l’OTAN. Peut-on imaginer une montée en puissance de nations, intégrées à l’OTAN, et toujours plus favorables à la Russie ? Quelle pourrait être la réaction de l’OTAN, et des Etats-Unis face à un tel contexte ?
Il existe une variété de situation au sein de l’OTAN ; le basculement vers la Russie n’a rien d’évident pour ces pays, même pour la Turquie qui serait l’Etat le plus susceptible de se rapprocher de Moscou. La Turquie est un membre solide de l’OTAN, qui a certes déjà acheté du matériel militaire russe. La vision du Président Erdogan se rapproche de celle de Vladimir Poutine, étant conservatrice, dure sur les questions de sécurité et souverainiste, mais cela ne signifie pas que les deux Etats tomberont d’accord – même s’ils partagent des logiciels qui se rapprochent de plus en plus.
Cependant, la Turquie ne fait même pas partie des pays observateurs de l’Organisation de la Coopération de Shanghai, russo-sino-centre-asiatique à l’origine, et reste donc loin du statut d’Etat-membre. Un rapprochement de la Turquie de cette institution serait un signal très sérieux pour l’OTAN.
Concernant la Hongrie, elle ne dispose même pas de ce choix. Elle a même choisi de suivre les principales chancelleries européennes concernant l’expulsion des diplomates russes suite à l’affaire Skripal. Elle peut donc se rapprocher pragmatiquement de la Russie sur des coopérations de nature énergétique ou autre, mais aucun membre de l’OTAN n’a songé à sérieusement quitter l’organisation. Le « brexit de l’OTAN » n’est pas arrivé, et semble peu probable pour des Etats-membres de l’Union européenne. En revanche, l’activité russe pour tâcher de faire diminuer l’efficacité de cette organisation ne fait aucun doute.
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