Russie-Arabie saoudite : la recomposition du Moyen-Orient au miroir du football (BRET dans Les Échos)

Le 14 juin la Russie a ouvert la Coupe du monde avec une victoire nette à 5-0 contre l’Arabie saoudite. Cet événement offre un miroir éclairant (mais déformant) sur le Moyen-Orient : il met en lumière un rapprochement géopolitique qui modifie les équilibres de la région. Mais il ne doit pas occulter des divergences structurelles entre la Fédération (de Russie) et le Royaume (des Saouds). Un carré vert et 22 joueurs ne suffisent pas à changer la géopolitique d’une région… mais ils peuvent éclairer ses évolutions.

La face lumineuse du miroir : célébrer un rapprochement historique

Depuis deux ans, entre Russie et Arabie, les tensions cèdent le pas à des convergences marquées. En octobre 2016, alors que les cours des hydrocarbures étaient au plus bas, alors que les difficultés budgétaires s’accumulaient à Moscou et Riyad, et alors même que la Russie se tenait délibérément loin des décisions de l’OPEP, les deux pays avaient conclu un accord pour limiter la production et ainsi faire remonter les prix du pétrole.

Deuxième signe fort, en octobre 2017, le monarque saoudien avait réalisé la première visite d’Etat en Russie, accompagné d’une délégation de nombreux chefs d’entreprise. L’héritier réformateur, Mohamed Ben Salmane, engagé dans une transformation du Royaume, dans une guerre au Yémen et dans un Grand Jeu contre l’Iran, nourrit lui aussi un dialogue régulier avec Moscou. L’Arabie a même déclaré envisager l’acquisition de systèmes de défense anti-aériens S-400 russes alors même que le Royaume est ciblé par des tirs en provenance du Yémen et qu’il s’approvisionne traditionnellement en PATRIOT américains.

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De l’autre côté du miroir : les limites d’une entente

Malgré la célébration médiatique, cet événement mondialisé n’occultera pas les limites de ce rapprochement. Depuis le « Pacte du Quincy » conclu entre Roosevelt et Abdelaziz Al-Saoud en 1945, la garantie de la sécurité du Royaume et de la dynastie est donnée par l’alliance américaine. Les coopérations avec la Russie peuvent difficilement la supplanter. En effet, l’administration Trump réactive la politique saoudienne et a cimenté ce réchauffement à l’aide de 380 milliards de projets de contrat.

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En outre, entre Arabie et Russie, les échanges commerciaux, financiers et industriels peinent à décoller.Mais surtout, l’Iran est la grande pierre d’achoppement entre les deux pays : pour la Russie, c’est le grand allié en Syrie ; pour l’Arabie Saoudite, c’est le rival qui travaille à son encerclement au Yémen, en Irak, en Syrie et au Liban. Les vicissitudes du tirage au sort n’ont pas placé les sélections de ces trois puissances dans la même poule A du Mondial. Mais, sur le terrain, les rivalités complexes entre ces trois acteurs rivaux façonnent la région.

Des messages diplomatiques subliminaux

Le 14 juin au soir, le plus éclairant des spectacles sera dans les tribunes plus que sur le terrain. A l’approche de ce match, la Russie ouvrira la compétition qui lui servira de vitrine internationale pendant mois en signifiant au monde premièrement qu’elle est durablement de retour sur la scène du Moyen-Orient ; deuxièmement qu’elle que son alliance avec l’Iran chiite en Syrie n’est pas exclusive d’amitiés sunnites en Arabie ; troisièmement, qu’elle a le rayonnement international suffisant pour braconner sur les terres des Etats-Unis dans la région. En langage sportif : une belle occupation du terrain tout à la fois sportif, médiatique, politique et diplomatique.