Le football, force de paix ?
L’organisation de la Coupe du Monde de football en Russie a des enjeux géopolitiques conséquents. Ils sont même essentiels pour la politique extérieure et l’économie russes.Le choix de Kaliningrad lors de ce Mondial peut contribuer à l’abaissement des tensions à plusieurs titres. D’une part, le territoire russe se trouve, comme le site de Pyeongchang en Corée du Sud, à proximité d’une zone de friction stratégique importante.

Kaliningrad illustre d’ailleurs les efforts déployés par les autorités russes pour favoriser l’accueil des étrangers durant la compétition : outre le document d’identité spécial prévu pour l’entrée sur le territoire, le supporter ID, les autorités ont lancé un appel à l’hospitalité. C’est notamment le cas de la mairie de Kaliningrad, qui a diffusé un vidéo-clip présentant la ville sous son meilleur jour. Un match des « légendes du football » a été organisé ; un centre hôtelier touristique a été mis en place et une fan zone a été créée.Tout est fait pour présenter Kaliningrad comme un territoire attrayant et non comme la source de menaces (comme il est perçu dans la région).
Victime de son intérêt stratégique
Quatre matches ne suffiront pas pour passer de « la nouvelle Guerre Froide » au dégel dans la région. La tension autour de Kaliningrad a en effet des raisons structurelles.La ville est victime de son intérêt stratégique : fondée au XIIIe siècle par les chevaliers teutoniques, l’ancienne Königsberg de Prusse orientale et patrie de Kant est placée à la charnière entre le mondes germanique, polonais, balte et russe.
Elle est placée au bord d’eaux libres de glace toute l’année et à l’abri d’une langue de terre, l’isthme de Courlande. Un rêve de stratège…C’est d’ailleurs pour cette raison que Staline, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, a veillé à ce qu’elle soit rattachée à la République soviétique de Russie au sein de l’URSS, alors même que la République soviétique de Biélorussie s’intercale entre le territoire et la Russie administrative.
Le« Grand Jeu » de l’OTAN et de la Russie en Baltique
Aujourd’hui, dans le dispositif stratégique russe, Kaliningrad et ses bases navales et aéronavales, sont un élément clé pour la Flotte de la Baltique stationnée à Saint-Pétersbourg. Récemment, des bâtiments de guerre équipés de missiles de croisière y ont pris place. La Russie a disposé dans l’enclave les fameuses batteries de missiles de défense anti-aérienne S400 mais aussi des missiles Iskander et Kalibr. Elle est donc perçue comme menaçante à Vilnius, Riga, Tallinn, Helsinki et Varsovie.
Un ancien sous-marin soviétique transformé en musée, à Kaliningrad. Ozan Kose/AFPDu côté de l’Alliance atlantique, les exercices de l’OTAN « BALTOPS », « Anaconda » et « Saber Strike », traditionnels depuis les années 1970, montent en puissance depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Et, suite au sommet de l’OTAN à Varsovie en juillet 2016, des troupes occidentales sont déployées en rotation dans les trois Etats baltes et en Pologne.Tous les schémas militaires de ces exercices intègrent Kaliningrad comme enjeu d’un potentiel conflit hybride ou classique.
Ainsi, l’OTAN pointe régulièrement Kaliningrad comme la source des incursions sous-marines, navales et aériennes dans les espaces nationaux des États baltes. Du point de vue de l’OTAN, Kaliningrad est un poste avancé du dispositif militaire russe en plein cœur des territoires de l’Alliance. Cette enclave russe est considérée, à ce titre, comme une source de menaces.
Pour les Russes, une vigie
Du point de vue de la Russie, Kaliningrad est, en discontinuité avec le territoire national, une vigie contre l’élargissement puis la remontée en puissance de l’OTAN dans la région. En un mot, Kaliningrad est le « pire cauchemar de l’OTAN », selon les termes d’officiels russes. C’est que Kaliningrad est, pour Moscou, un des rares moyens dont elle dispose contre l’élargissement de l’OTAN et l’encerclement américain dont elle s’estime victime, dans la Baltique, en Mer Noire, en Méditerranée orientale…Par-delà les enjeux sportifs, Kaliningrad est donc au centre du « Grand Jeu » que se livrent Russie et OTAN dans l’espace baltique.

Une course aux armements est en cours dans la région : la Suède comme les États baltes ont rétabli la conscription, la Pologne a lancé plusieurs programmes d’armement et consacre plus de 2 % de sa richesse nationale à la défense, la Finlande et la Suède s’interrogent sur leur neutralité historique… Quant à la Russie, elle a engagé un programme décennal de modernisation de ses forces armées en 2009 et a atteint un haut niveau de professionnalisation notamment par l’expédition en Syrie depuis 2015.Que Kaliningrad apparaisse accueillante aux supporters durant quatre matches est souhaitable. Mais cela ne suffira pas à faire cesser le « Grand Jeu » que se livrent les puissances dans la zone.
Les fonctions géopolitiques du sport : paix et guerre en Europe
Quand on aborde les compétitions internationale hautement médiatisées, tous les espoirs se portent sur la fonction pacificatrice du sport : rapprochement des peuples, communion des supporters ou encore sublimation de la concurrence militaire en compétition athlétique. Tous ces phénomènes existent bel et bien même s’ils suscitent des espérances déçues.Le sommet entre Kim et Trump le souligne, après la « diplomatie du ping-pong » utilisée par Nixon pour se rapprocher de la Chine au début des années 70, et après les résultats obtenus par l’exclusion de l’Afrique du Sud des compétitions internationales pour obtenir la fin de l’Apartheid. Le sport peut contribuer à la paix. Mais il ne suffit pas à arrêter les guerres.