Le 22 mai 2018, le groupe de réflexion Global Variations a présenté ses analyses sur la situation dans la péninsule coréenne à l’Assemblée nationale, à l’invitation des députés Joachim Son-Forget et Pierre Henriet. Nombre d’experts étaient présents : Alexandra de Hoop Scheffer, Antoine Bondaz, Stéphane Delory, Arnaud de la Grange, Vincent Berthet, Pierre Manenti et Florent Parmentier. La tribune qui suit est une contribution en faveur d’une présence accrue de l’Europe en Corée.
La perspective d’une paix « permanente et solide » entre la Corée du Nord et la Corée du Sud fait partie des potentielles bonnes nouvelles de l’actualité internationale ; les Etats-Unis comme la Chine semble y veiller tout particulièrement. Et si, derrière l’implication de Donald Trump dans le dossier coréen, l’Europe avait une carte à jouer ?
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De prime abord, le sort de la péninsule fait l’objet d’une rivalité sino-américaine à peine voilée : les premiers soutiennent à bout de bras le régime nord-coréen, tandis que les Etats-Unis disposent de 29000 soldats sur place et restent le premier partenaire commercial de la Corée du Sud. Derrière les deux superpuissances se trouvent deux puissances qui ne peuvent se détourner de la résolution du conflit, en raison de liens historiques, culturels et géographiques : l’immense Russie, voisine de la Finlande comme de la Corée du Nord et potentiel acteur énergétique de premier plan, ainsi que le Japon, ancienne puissance coloniale et puissance technologique et économique.
Dans ce contexte, la réconciliation coréenne paraît être une histoire d’hommes forts : Xi Jinping, Donald Trump, Vladimir Poutine ou Shinzo Abe viennent au chevet d’une Corée souffrante depuis un peu moins de soixante-dix ans. Tout au plus accordera-t-on un statut d’acteur à part entière du processus actuel à Kim Jong-un, ainsi qu’au Président sud-coréen Moon Jae-in. Mais quid de l’Europe, citadelle assiégée de conflits à l’heure du Brexit et de sa marginalisation dans les affaires du monde, tenue récemment pour quantité négligeable dans la crise iranienne, ses engagements et ses entreprises étant remis en cause et visés par les sanctions américaines ?
Dépourvu d’un leader fort et munie d’une gouvernance à plusieurs niveaux, l’Europe dispose pourtant d’un capital sans équivalent : une expérience de gestion de l’après-Guerre froide de plus d’un quart de siècle – puisque la pacification des deux Corées semble de fait sceller le sort de la Guerre froide en Asie. En matière internationale, les acteurs européens ont acquis un savoir-faire incontournable en matière de pacification et de développement de liens entre sociétés civiles, pouvant offrir tout un répertoire de possibilités pour le cas de la péninsule coréenne.
Robert Schuman
En effet, que ce soit en matière de collapsologie (science de l’effondrement) et d’intégration, l’Europe présente plusieurs modèles, qui peuvent aider à appréhender les scénarios d’évolution régionale, selon trois modèles ; le modèle d’effondrement et de recomposition, instable, et observable de la chute de l’URSS aux tentatives de recomposition régionale autour de la Russie ; le modèle de la réconciliation et d’élargissement, du couple franco-allemand à la politique d’élargissement européen de 2004 ; enfin, le modèle d’absorption, que l’on retrouve avec l’intégration de l’Allemagne de l’Est au sein de la République fédérale d’Allemagne, sous la forme de nouveaux Landers.
Au-delà des négociations étatiques et des sommets internationaux, la réconciliation coréenne se passera par le bas, selon une diversité de méthodes développés dans le cadre européen : réalisation de projets communs en matière culturelle et environnementale, mobilité étudiante, jumelage de villes et d’institutions…
Mieux, les évolutions technologiques ne se limitent pas à la création de nouveaux missiles, et permettent au contraire de reconsidérer les possibilités de réconciliation : peut-on de la sorte « ubériser » la pacification de la Corée, en ramenant la confiance à moindre coût ? Après tout, la première décision politique de la réunification allemande a concerné l’enjeu de la monnaie. Une K-coin, monnaie virtuelle, peut-elle permettre le financement de développement d’infrastructures nécessaires pour rapprocher les deux Corées ? L’utilisation de stratégies d’influence douce, inspirées des « nudges », n’est-elle pas en mesure de réduire les biais cognitifs liés au processus de réunification au sein de la population ? La technologie de la blockchain, qui repose sur la confiance, peut-elle permettre à des institutions en quête de transparence de se rassurer sur les intentions du partenaire ? Les technologies et leurs usages, si elles ne sont pas sans danger, permettent d’envisager l’utilisation de nouveaux outils en faveur de la paix qui n’existaient pas au moment de la chute du mur en Europe.
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L’avenir de la réconciliation coréenne n’est pas écrit. Elle ne se fera sans doute pas dans une construction d’ensemble, mais par une solidarité de fait, pour paraphraser Robert Schuman, Ministre des Affaires étrangères contemporains de la guerre de Corée ; sa pensée semble toujours féconde, et à défaut de voir une Europe de la Défense prendre sa pleine puissance dès maintenant, aux Européens de montrer leur pertinence pour envisager le rapprochement intercoréen.