Atlantico : L’assassinat, le mois dernier, de 3 journalistes russes en République centrafricaine alors que ceux-ci venaient enquêter sur le rôle grandissant de Moscou dans le pays, a pu attirer l’attention sur les velléités russes sur le continent africain. Comment évaluer la situation, faut-il voir ici une volonté de Moscou de revenir sur le continent après une période de retrait consécutive à la chute de l’URSS ? Quels en sont les enjeux pour Moscou ?
Florent Parmentier : L’URSS s’était immiscée dans toutes les luttes pour la décolonisation du continent (y compris la lutte contre l’Apartheid), avait formé un certain nombre d’élites, entretenait des relations avec un certain nombre de pays devenu des clients. Lors de la chute de l’Union soviétique, l’Afrique a fait partie des premières régions abandonnées, tout comme l’Amérique du Sud. S’il s’agit d’un retour – confirmant l’orientation prise par Vladimir Poutine lors d’un voyage en 2006 au Maroc et en Afrique du Sud, le continent, lui, n’a pas attendu Moscou pour évoluer. Au-delà des Etats-Unis et des puissances européennes, le continent africain a observé la montée en force de nouveaux acteurs, au premier rang desquels on retrouve la Chine et l’Inde, mais pas uniquement, comme le Japon ou le Canada.
Le soft power soviétique n’agissant plus – même si son héritage n’est pas nul en termes de clients de l’armement russe – la Russie, avec ses ressources contraintes, a fait le choix de se positionner en Afrique sur une vision totalement nouvelle et différente de ses concurrents, en s’appuyant sur ses points forts. C’est ainsi que la Russie s’affirme aujourd’hui comme un leader militaire, en proposant des armes avec un rapport qualité-prix adapté aux marchés africains. C’est l’enjeu également du développement du mercenariat russe, avec l’émergence de compagnies militaires privées proches des oligarques. Enfin, la Russie a l’expérience du règlement de conflit, mais également des acteurs de premiers plans pour les ressources, les hydrocarbures, le nucléaire…
La Russie entend donc se positionner comme un acteur de sécurité alternatif pour le continent africain, accompagnant le développement de la route de la Soie chinoise grâce à de juteux contrats. Ainsi, elle trouve un positionnement par rapport à la Chine qui n’est pas que de dépendance.
Atlantico : Concernant la République centrafricaine plus précisément, comment analyser cette présence russe dans les relations entre Bangui et Paris ?
La Russie est effectivement présente en République centrafricaine, par le biais de ventes d’armes, d’instructeurs militaires et de 170 « conseillers civils » arrivés à Bangui pour entraîner l’Armée et la Garde présidentielle. Le Président centrafricain Faustin Archange Touadéra disposait d’un nombre limité d’options : les Français de Sangaris partis, les 12 000 Casques bleus de la MINUSCA ayant des règles d’engagement contraignantes, l’aide militaire russe a été accueillie avec bienveillance au sein de la population.
Pour autant, Bangui assure que cette nouvelle coopération – ou plutôt cette coopération renaissante – ne se fait pas au détriment de ses partenaires traditionnels. Ce sont pourtant bien au détriment des armes françaises que les armes russes ont été vendues… Ce processus s’inscrit dans une logique décrite de diversification géopolitique de l’Afrique et de menaces croissantes.
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