Élections Européennes 2019: la campagne d’Italie de Salvini et Di Maio (Olivier MARTY sur Eurasia Prospective)

Olivier MARTY répond aux questions de Cyrille BRET et Florent PARMENTIER sur les enjeux des élections européennes en Italie. Il vient de publier « Budget italien : l’Europe doit tenir bon! » dans le journal Les échos.

EurAsia Prospective : Les finances publiques italiennes vont-elles être – et doivent-elles être – au centre de la campagne européenne en Italie et en Europe . Pour quelles raisons ?

Olivier Marty : Le bras de fer engagé par la coalition italienne avec l’Union européenne autour de la trajectoire budgétaire du pays, qui sera manifestement non conforme aux règles budgétaires communes, pose un problème évident aux Etats membres et à la Commission européenne quant à la réaction à avoir vis à vis de Rome : une ligne trop flexible affaiblirait la crédibilité des règles européennes, péniblement recouvrée au fil d’un regain de la croissance, d’une baisse dans l’intensité des affrontements des capitales notée au cours de la période dite « d’austérité », et de la réforme du cadre de gouvernance économique ; une approche trop dure risquerait effectivement de raidir les partis de la coalition et l’opinion publique italienne, comme celle d’autres pays. Si, comme on peut le penser, la Commission sera prochainement amenée à engager une procédure de déficit excessif (PDE) à l’encontre de l’Italie, il parait clair que les enjeux de la légitimité des institutions européennes ainsi que du degré d’autonomie laissé aux Etats dans la conduite de leurs politiques publiques se placera au coeur de la campagne italienne pour les élections européennes dans un contexte notoirement délicat pour l’Europe. Cette éventualité sera difficile à gérer du coté européen car les institutions et de nombreux dirigeants européens seront moins démagogiques que les partis italiens au pouvoir. Toutefois, elle peut également fournir l’opportunité renouvelée d’une clarification des responsabilités respectives des Etats et des institutions de l’UE dans la dynamique communautaire, qui n’est pas à la faveur des premiers, et souligner l’importance pour l’UE d’avancer dans ses dimensions économiques et sociales. L’Europe a en effet intérêt à montrer que la rigueur, la concurrence, le libéralisme riment, encore et à nouveau, avec solidarité, en particulier à l’égard de l’Italie, qui a souffert d’être laissée seule face à l’afflux de réfugiés et qui fait aujourd’hui face à de sérieux problèmes sociaux qu’il faut impérativement résoudre (pauvreté, baisse du revenu par tête et du pouvoir d’achat, faiblesse des minima sociaux).

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EurAsia Prospective : Invoquer devant Rome l’intérêt économique de l’Italie afin de rejeter le budget de la péninsule, n’est-ce pas une posture technocratique arrogante de nature à aggraver l’euro-phobie ? 

Olivier Marty : On peut penser effectivement que c’est précisément tout ce que les populistes attendent, mais je ne le crois pas. Il faut considérer plusieurs éléments justifiant une ligne dure de l’Union européenne.

La première raison d’une telle attitude, évidente, consiste à dire que l’Italie enfreint manifestement, sciemment, les règles budgétaires communes au titre de niveaux excessifs de déficit et de dette publics. Or, on a suffisamment reproché à la Commission européenne, et à plusieurs pays, avant la crise, de ne pas donner corps à ces règles, avec les conséquences que l’on découvrit de façon critique dès 2009 en Grèce, mais aussi au Portugal, pour refaire la même erreur, a fortiori en période de croissance économique !

Deuxièmement, ces règles budgétaires ont été réformées intelligemment depuis le début de la crise économique, et font l’objet d’une appropriation collective plus nette, quoiqu’encore très imparfaite, des Etats membres, ce qui est positif en vue de forger une politique économique et budgétaire commune au niveau de la zone euro en complément de la politique monétaire. Il ne faut donc pas briser cet élan positif, qui indique que l’Europe sait apprendre de ses lacunes passées.

Enfin, et surtout, la politique budgétaire du gouvernement italien n’est effectivement pas dans l’intérêt des Italiens : la relance promise ne sera sans doute pas au rendez vous en raison de la faiblesse de l’appareil productif et des banques du pays, qui sont susceptibles de pâtir nettement de la hausse prévisible des taux d’intérêt. En fait, la croissance risque d’être plus faible au prix d’une dette plus élevée ! De même, les problèmes de fond de l’économie italienne (faible productivité, vieillissement de la population…) ne seront pas résolus par ce budget. Il faut donc être offensif à l’égard des partis au pouvoir à Rome, comme vis à vis d’autres « populistes », et souligner leurs insuffisances.

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EurAsia Prospective : Quelles sont les forces politiques en présence en Italie pour les européennes ? Quels sont les enjeux de politique intérieure pour l’Italie dans cette campagne ? 

Olivier Marty : Il me semble que la campagne italienne pour les élections européennes verra s’affronter les forces de la coalition d’une part, et tous les autres partis ou coalitions, d’autre part, qu’ils soient plus grands et jadis influents (Forza Italia, Parti démocrate, Démocrates chrétiens, etc.) ou petits (Piu Europa, Parti écologiste, Civica Popolare) et plus ou moins européens. Dans cette configuration, la coalition et, au sein de celle-ci, la Ligue en particulier, qui bénéficie déjà d’un ascendant sur le MI5, peut se renforcer à double titre: d’un coté, les forces politiques alternatives, qui ne gouvernent plus l’Italie, ne semblent plus en mesure de répondre aux problèmes de la majorité des électeurs et être déboussolées à la fois idéologiquement et tactiquement ; par ailleurs, les élections européennes donnent typiquement lieu à un vote protestataire qui mobilise et bénéficie aux partis euro-sceptiques ou euro-phobes.

Si, en outre, la confrontation de la coalition italienne avec l’Union tourne à la faveur de la première en raison de maladresses ou d’insuffisances de la seconde, on peut craindre de sérieux problèmes financiers, économiques et politiques en Italie et dans le reste de l’Europe. Ainsi, je crains que les élections européennes ne soient qu’une occasion pour les partis au pouvoir actuellement, et en particulier de la Ligue, de se renforcer, sans naturellement esquisser un programme constructif pour l’Europe, qu’ils semblent vouloir, en quelque sorte, anesthésier avant d’en opérer le démantèlement. On voit par exemple que sur la question de l’adhésion à l’euro, soutenu par une majorité (57%) d’Italiens (un chiffre en hausse de 12 points sur un an !), le gouvernement ne semble pas prêt à risquer une sortie brutale. Mieux vaut donc, une fois encore, que Rome « rentre dans le rang » en usant des opportunités de dialogue qui subsisteront dans les mois qui viennent et que l’Union européenne fasse des gestes de nature à répondre aux attentes de la population italienne, comme d’autres pays.