Bilan Russie 2018: une normalisation impossible? (BRET – Revue de l’ENA)

La Russie de 2018, entre disruption et stabilisation

Depuis 2014, la Fédération traverse une série de crises. Qu’elle a choisies ou qu’elle subit. Crise diplomatique avec son intervention en Ukraine à partir de 2013 puis en Syrie à partir de 2015. Crise économique ensuite avec les sanctions occidentales et la division par trois du cours des hydrocarbures. Crise d’image enfin : le soutien au régime Al-Assad en Syrie, l’empoisonnement de Sergueï Skripal, les manœuvres militaires d’ampleur en Europe et en Asie, les soupçons d’ingérences dans la campagne électorale américaine, tous ces éléments ont brouillé l’image de la Russie sur la scène internationale. Accusée déstabiliser les équilibres africains, européens et moyen-orientaux, la Russie a acquis le statut d’une puissance disruptive.

En 2018, ces tendances ont commencé à être infléchies, délibérément par les autorités russes (comme les productions domestiques se substituant aux produits importés dans l’agro-alimentaire) et sous l’influence de facteurs exogènes (comme la hausse des prix des hydrocarbures). Dans le domaine politique, la réélection attendue du président Poutine et la reprise de la croissance du PIB, dans le domaine économique, ont fait anticiper une normalisation de la situation russe. En 2018 plus que jamais la question se pose : la Russie peut-elle devenir un pôle de stabilisation, à l’intérieur et à l’extérieur ? Si des facteurs plus favorables sont apparus durant l’année, 2018 restera comme une année de transition pour un pays en butte à des faiblesses structurelles. Vers avenir encore à définir.

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Normalisation politique ? Poutine IV saura-t-il préparer le futur ?

Sur la scène politique intérieure, l’année 2018 a été dominée par la réélection de Vladimir Poutine pour un quatrième mandat à la présidence de la Fédération après plus de 18 années au pouvoir. Le pouvoir restera poutinien pour six années encore.

Cette victoire est d’autant plus nette qu’elle est intervenue dès le premier tour, avec près de 77% des votes, loin devant le deuxième candidat, le communiste Groudinine qui a rassemblé plus de 11% des voix. En outre, le niveau de l’abstention a été contenu à environ 32% des électeurs alors même que les élections législatives de l’automne 2017, avec plus de 50% d’abstention, avaient été un avertissement sur la capacité mobilisatrice de Russie Unie, le parti présidentiel, et de l’administration présidentielle.

Toutefois, ce succès dans les urnes ne doit pas minorer les difficultés politiques intérieures de la Russie. La première limite à la normalisation politique est l’incertitude du programme du « nouveau » président en matière de développement économique et social : entre la relance budgétaire et la désétatisation, les choix restent à faire. La faiblesse de la démographie, les manifestations des retraités contre une réforme des retraites qui accroît encore la précarité de cette couche de la population exposée à la pauvreté, etc. toutes ces « questions maudites » n’ont pas encore fait l’objet d’un programme de développement par Poutine IV.

La deuxième limite à la normalisation de la vie politique est l’absence de relève et, encore plus, d’alternative. Si l’opposant le plus visible à l’extérieur, Alexeï Navalny a été interdit de compétition électorale, les opposants intégrés dans le système, Vladimir Jirinovski ou Ksenia Sobtchak, ont été réduits aux rôles secondaires avec, respectivement 5,65% et 1,70% des voix. Aujourd’hui, la Fédération n’a pas de dirigeant de rechange. Encore moins d’alternance politique en germe.

En Russie, la politique intérieure est stabilisée pour le quatrième mandat de Poutine. Mais elle est pour le moment loin d’être normalisée en raison même du poids du leader russe.

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Normalisation économique ? Après la récession, vers la croissance ?

Depuis plusieurs années, sous l’influence des sanctions occidentales, de l’embargo décidé en réponse et surtout de la baisse des cours des hydrocarbures, l’économie russe a semblé dans l’impasse. Elle a en effet connu une récession en 2015 (-2,8%) et 2016 (-0,2%), un creusement des déficits publics et une réduction subséquente des prestations sociales.

En économie, 2018 marque un retour à une situation plus favorable. Le premier facteur de stabilisation économique est le cours des hydrocarbures ; en 2018, le cours du pétrole a continué de progresser. Il a ainsi progressé de +55% de juin 2017 à avril 2018 pour se tasser à la fin de l’année.

En conséquence, la récession a cédé le pas à la reprise de la croissance du PIB russe. Elle est estimée à 1,3% pour l’année 2018. La situation budgétaire de la Russie, fortement dépendante de cette variable, a commencé à se rétablir. En outre, plusieurs indicateurs redeviennent favorables : l’inflation est limitée à 4% par an. Et le rouble s’est stabilisé puis redressé face au dollar et à l’euro.

Toutefois, les faiblesses structurelles de la Russie perdurent, ce qui limite le retour de la croissance et l’installation de la prospérité. La dépendance aux exportations énergétiques et minières reste la principale caractéristique de l’économie russe : la Russie reste une économie de rente. De plus, le taux de pauvreté en Russie est encore très élevé (10 à 15% de la population) et les inégalités demeurent très fortes. Quant à la place de l’Etat dans la société, elle est toujours considérable, limitant les relais de croissance dus à l’initiative privé. Avec un secteur public de 50%, la Russie a une économie largement étatisée, au rebours des années 1990. Le manque d’investissement est considérable dans l’économie domestique en raison du climat des affaires : le système juridique et judiciaire n’offre pas aux investisseurs les garanties qu’ils attendent pour développer leurs activités. De fait, la Russie est classée par la Banque Mondiale seulement à la 35ème place du classement Doing Business.

En 2018, la situation économique a cessé de se dégrader de sorte que la voie de la normalisation est aujourd’hui ouverte avec deux années consécutives de croissance modeste entre +1% et +2% du PIB. Mais les faiblesses structurelles de l’appareil productif demeurent à traiter.

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Normalisation extérieure ? Succès militaires et revers diplomatiques

Sur la scène internationale, la Russie a continué à souligner son retour dans la catégorie des grandes puissances militaires. Si le conflit en Ukraine est passé au second plan des médias internationaux, il ne doit pas être négligé : le Donbass est durablement devenu une zone de conflictualité latente où les combats circonscrits font des victimes régulièrement. C’est, pour la Russie, un moyen de pression évident sur le gouvernement de Kiev et sur ses partenaires de l’UE et de l’OTAN. L’Ukraine est désormais un « conflit gelé » et même un « conflit pourri » qui mine l’Europe et ses relations avec la Russie.

En Syrie, la Russie a atteint, en 2018, ses buts militaires, sans parvenir à atteindre ses buts politiques. La Russie est parvenue, avec l’aide de l’Iran, à rendre incontestable la victoire militaire du régime Al-Assad. Désormais, celui-ci est incontournable. Toutefois, la Russie n’est pas parvenue à installer le format d’Astana (Russie, Iran, Turquie, parties syriennes) comme l’enceinte capable de conclure la paix en Syrie. La Russie a militairement marginalisé les occidentaux, mais est aujourd’hui incapable de trouver une issue au conflit.

Toutefois, le statut de la Russie sur la scène internationale reste remis en question : l’affaire Skripal lui a aliéné le Royaume-Uni, « l’affaire américaine » a compromis pour longtemps les relations russo-américaines, l’alliance objective avec l’Arabie Saoudite au sein du format OPEP+ est fragile car elle ne parvient pas à s’accorder sur la direction à donner aux cours des hydrocarbures. Surtout, les exercices militaires d’ampleur menés par l’OTAN et par la Russie dans la zone baltique ont continué à alimenter l’idée d’un retour à la Guerre Froide.

Pour la Russie, 2018 marque la consolidation de la puissance militaire mais non pas la normalisation diplomatique.

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Retour d’influence : la Coupe du monde suffira-t-elle à changer l’image de la Russie ?

En 2018, la Russie a lancé de nombreuses initiatives pour normaliser son image auprès des opinions publiques à travers le monde. Elle a participé comme invitée d’honneur au Salon du livre de Paris ; elle est active dans les Balkans et au Moyen-Orient pour restaurer ou reconstruire lieux de cultes, dispensaires et écoles ; et elle a durablement implanté sa télévision internationale (Russia Today) et sa radio (Sputkin) dans les paysages audiovisuels des pays occidentaux.

Mais, plus que tout autre élément, la Coupe du Monde FIFA 2018 a défini la position de la Russie sur la scène internationale pour les opinions publiques durant l’année. Les résultats en termes d’image sont effectivement impressionnants. Grâce à une simplification du régime des visas (la carte Fan ID), à des investissements dans les infrastructures, à une maîtrise de l’ordre public et de la couverture audiovisuelle, l’organisation de la Coupe du Monde 2018 a été partout saluée comme un succès. Si la Sbornaïa a quitté la compétition assez tôt, la Russie a remporté la Coupe du Monde sur le plan organisationnel.

Toutefois, la Coupe du Monde a compensé un revers cinglant lors des Jeux Olympiques d’Hiver en Corée du Sud quelques mois auparavant : le comité olympique russe ayant été suspendu par le CIO pour des questions de dopage, ni l’hymne ni les couleurs russes n’ont pu apparaître durant la compétition.

En 2018, si l’image de la Russie s’est infléchie, toutefois elle est loin d’être normalisée.

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