Depuis 1707, l’Écosse est considérée comme une entité subétatique, une « nation sans État ». Or, au fil des siècles, Édimbourg a su composer avec Londres afin d’influer sur les relations extérieures britanniques en se constituant sa propre paradiplomatie. L’avenir incertain du Royaume-Uni, suite à sa décision de quitter l’Union européenne en 2016, pose de nouvelles questions quant au futur rôle de l’Écosse dans le système international. Cet article cherche à comprendre la structuration de la diplomatie écossaise dans le cadre de l’Union et dans sa projection, faite par les nationalistes du SNP, comme un État « pré-indépendant ».
L’identité dans l’Union
Pendant près de trois siècles, l’Union avec l’Angleterre offrait aux Écossais de nombreux moyens d’exercer une influence sur les affaires internationales1. Les débouchés économiques et commerciaux de l’Empire permettaient à l’Écosse de s’enrichir. L’Union était aussi perçue comme la meilleure façon de garantir la sécurité extérieure de l’Écosse contre les ennemis du Royaume-Uni. Enfin, l’État britannique, étant une bureaucratie minimale, Édimbourg avait toute liberté de gérer ses propres affaires. Comme le disait le poète écossais Walter Scott, les Écossais « sont patriotes de cœur, mais unionistes de raison2 ». Néanmoins, les choses changèrent quand l’État britannique commença à se centraliser à la fin du XIXe siècle.
Dès le déclin de l’Empire pendant la période d’après-guerre, l’Écosse commençait à reconsidérer sa place dans une Union déclinante qui ne servait plus de levier à Édimbourg dans la gestion des affaires internationales. C’est pendant cette période que la popularité du SNP s’accroît. Dans les années 1980, l’offensive néolibérale de Londres contre les services publics était directement perçue comme une atteinte à l’identité politique du pays marquée à gauche3. A cela, s’ajoutait la découverte de pétrole dans la mer du Nord, cimentant ainsi le discours du SNP en assurant la viabilité d’une Écosse indépendante.
La question européenne : sujet central de la paradiplomatie écossaise
Le rapport à l’Europe a toujours été un point divergent entre Londres et Édimbourg. À ses débuts, l’intégration européenne n’avait pas raison d’être. Les nationalistes écossais souhaitaient redéfinir le rôle de l’Écosse dans l’Empire en essayant d’acquérir un statut similaire à celui du Canada ou de l’Australie – un dominion. Jusqu’au milieu des années 1970, le SNP ne voyait pas l’avantage d’adhérer à la CEE, l’Europe était perçue comme hostile aux régions et centraliste4. Opposé à l’intégration du Royaume-Uni dans le Marché commun – perçu comme trop rigide – le SNP fit campagne en faveur du retrait du Royaume-Uni au référendum de 1975.
Dès 1983, le SNP repensait sa stratégie européenne pour promouvoir l’indépendance, tout en restant dans le cadre européen. D’abord la CEE se consolidait avec le renforcement du Marché commun, réduisant ainsi les risques économiques liés à l’indépendance. Le parti s’ouvrait à des membres pro-européens, comme Jim Sillars5. Afin, cet engouement européen
était aussi une façon de s’opposer à l’attitude plutôt eurosceptique que défendait le gouvernement Thatcher. L’Angleterre n’était plus perçue comme une source d’idées progressistes, l’Europe avait déclassé Londres dans ce domaine ; se dire « Européen » en Écosse aujourd’hui est un symbole de modernité, tout comme se dire « Britannique » il y a une centaine d’années6.
Depuis 2006 : la structuration de la diplomatie d’un État aspirant à l’indépendance
En 1997, l’élection de Tony Blair permit à l’Écosse de se doter d’un parlement, Londres déléguait la totalité des compétences d’un État sauf celles de la conduite de la politique étrangère et de la défense. Néanmoins, dès 1998, l’Écosse commençait à structurer une action paradiplomatique sur le modèle d’États subnationaux, tel le Québec ou la Catalogne7. Depuis 2006, le pays est dirigé par le SNP. En ce sens, nombre de réflexions et actions ont été conduites dans la constitution d’une future action extérieure.
En 2006, Alex Salmond voulait intégrer l’Écosse dans un « Arc of prosperity8 ». L’idée était de constituer de fortes relations politiques et commerciales avec les pays scandinaves et l’Irlande. Pour le Premier ministre écossais, ces pays partageaient – au-delà d’une proximité géographique – les mêmes racines culturelles et le même goût pour la sociale démocratie9. Une intégration réussie dans cet « arc » constituait un argument de choix pour une Écosse autonome, en plus de l’argument européen. L’Écosse commençait aussi à se structurer une diplomatie en direction des pays asiatiques perçus comme de futurs partenaires économiques. À titre d’exemple, l’Inde représente un marché dans le domaine des énergies éoliennes pour lequel l’Écosse est un pionnier. Avec ses 7000 kilomètres de littoral, cet État-continent offre une source d’énergie conséquente et un partenaire commercial de choix pour le gouvernement SNP et en ce sens, un accord de coopération dans le domaine a été signé en 2009, suite au voyage du ministre des Affaires extérieures écossais10.
1. Paquin Stéphane, La revanche des petites nations. Le Québec, l’Écosse et la Catalogne face à la mondialisation, Montréal, VLB éditeur, 2001, p. 141
2. Tétart Frank, Nationalismes régionaux. Un défi pour l’Europe, Bruxelles, De Boeck, 2009, p. 78
3. Paquin Stéphane, La revanche des petites nations. Le Québec, l’Écosse et la Catalogne face à la mondialisation, op.cit., p.149
4. Paquin Stéphane, « Globalization, European integration and the rise of neo-nationalism in Scotland », Nationalism and Ethnic Politics, 2002, p. 70
5. Fondateur du Scottish Labour Party (parti écossais pro-européen, dissous en 1981).
6. Tétart Frank, op.cit., p. 79
7. Robins Keith, « Britain and Europe : Devolution and Foreign Policy », International Affaires, 1998, p. 115
8. « Salmond sees Scots in « arc of prosperity », The Scotsman, 12 août 2006
9. Little Allan, « Would the Scandinavians want Scotland ? », The Guardian, 26 janvier 2014
10. « Scotland and India join forces in green energy drive », The Scotsman, 14 octobre 2009