Atlantico :Si ce n’est pas en soi une surprise, la Russie multiplie des actes d’ingérences. Dans quelle mesure la pratique-t-elle dans d’autres partis ?
Anastasia Shapochkina : Effectivement, le Front National n’est pas le seul concerné. Les Russes sont très présents dans le financement des partis européens, surtout l’extrême-droite ET l’extrême-gauche. La première se retrouve en Italie avec La Ligue du Nord. En Allemagne, AFD. En Hongrie, Jobbik…etc. Du côté de l’extrême-gauche, Jean-Luc Mélenchon. En Allemagne, c’est le Die Linke. En Italie, le mouvement Cinq étoiles. Evidemment, ils nient ces soutiens mais de nombreuses études viennent corroborer ces rapports [ndlr. Anastasia Schapochkina fait référence aux travaux des institutions suivantes : Mark Galeotti, The Insitute of International Relations in Prague ; The Laudromat investigation ; Anton Schkhovtsov, The Insitute of Human Sciences in Austria].
La question est de savoir s’il s’agit de financement de l’ordre du FN, c’est-à-dire de prêts de 11 millions d’euros, ou de soutien. Ce dernier peut prendre la forme de visites diplomatiques ou soutien entre les partis. Certains partis ont ainsi fait des pactes de coopération. Des partis dont l’idéologie coïncide avec la leur en partie. On voit bien l’ampleur de l’emprise russe avec la démission du vice-chancelier autrichien pour avoir été piégé à son insu, acceptant un soutien financier en échange de contrats publics autrichiens. Pour autant, des partis comme l’AFD peuvent tenir seul financièrement. Les financements sont donc maigres.
Néanmoins, ces soutiens sont-t-ils vraiment efficients ? Comment fonctionnent-ils ?
Pas forcément. Les partis comme le FN et l’AFD restent marginaux. L’effet est limité parce que la stratégie consiste à miser sur des partis minoritaires qui peuvent potentiellement accéder au pouvoir. L’exemple le plus frappant est celui de la Ligue en Italie qui a énormément gagné en ampleur suite à la collision avec le mouvement Cinq Etoiles dont la Russie est aussi proche. Maintenant, ces partis n’existeraient-t-ils pas sans ce soutien ? Je ne pense pas. Néanmoins, leur impact sur les politiques européennes est indéniable. Après ces pays (Italie, Hongrie) ne sont pas les importants au niveau européen comme le sont l’Allemagne ou la France. L’influence russe y fonctionne par personnalités dont l’approche dépend de ces interlocuteurs (corruption, rapports diplomatiques). Un exemple frappant est le cas de l’ancien chancelier social-démocrate, ami de Poutine, qui devient le directeur de Nord Stream 2, un des projets les plus controversés de ces dernières années entre l’Europe et la Russie.
Je voudrais attirer l’attention ici non pas sur les partis marginaux séduits par la Russie, mais plutôt le courting -courtiser- des personnalités au pouvoir dans des partis mainstream. Une des conséquences de ce courting se joue dans le Conseil de l’Europe puisqu’il y est question de restaurer la participation de la Russie dans le Parlement du Conseil de l’Europe sans qu’elle réponde à toutes les résolutions faites autour de l’Ukraine, et sans qu’elle remplisse ses obligations. Ça peut être vue comme le premier pas de la Russie vers son retour sur la scène diplomatique dans d’autres scènes européennes et la levée des sanctions en général. Alors certes, on voit des financements de partis d’extrême-droite. Ça fait des bonnes news, mais derrière il y a cette recherche de levée des sanctions qui est encore plus importante !
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