Géopolitique des missiles anti-missiles: S400 vs. PATRIOT

Depuis que le candidat Trump a critiqué l’OTAN et depuis que le président Trump a laissé planer le doute sur la solidarité des Etats-Unis en cas d’agression envers un allié, la Russie teste régulièrement la solidité de l’Alliance atlantique. Dernier fait d’armes en date, la vente à la Turquie de missiles de défense anti-aérienne S-400 Triumph du groupe public russe Almaz-Antey. Ce contrat, confirmé par le président Erdogan la semaine dernière, a déclenché l’ire et l’inquiétude aux Etats-Unis.

Pourquoi un tel émoi ? La quantité d’armes en jeu est limitée à quatre batteries de S-400 ? De plus, ces systèmes ne sont-ils pas des armes défensives ? L’enjeu géopolitique dépasse largement les questions financières et tactiques. Depuis une décennie, Vladimir Poutine développe une véritable « diplomatie des S-400 » notamment pour contrer la stratégie américaine des missiles anti-aériens PATRIOT (cf. photo). Ces bijoux de haute technologie lui servent non seulement à marquer son territoire (en Crimée notamment), à rassurer ses alliés (Chine et Syrie) mais surtout à affoler les Etats-Unis. Dans le domaine de la défense anti-aérienne, le match entre les S-400 Triumph russes et les PATRIOT MIM-104 de l’américain Raytheon sert à compter ses alliés… et à en débaucher de nouveaux.

Retrouvez l’analyse ici : Bret S400 et

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Marquer son territoire

Le système de défense anti-aérien S-400 est un des fleurons du complexe militaro-industriel russe. Il a été développé dès les années 1990 dans des domaines d’excellence : la détection et la réaction automatisée. Composée de radars très performants et de dizaines de missiles qui ciblent des altitudes différentes, une batterie de S-400 interceptent les aéronefs militaires (avions de chasse, drones, hélicoptères) et les missiles (balistiques et de croisière) dans un périmètre allant jusqu’à 400 kilomètres autour de son point de déploiement. Avec un degré de fiabilité réputé plus élevé que celui des PATRIOT. Installer un système de S-400, c’est rendre une zone largement inexpugnable par les airs.

Pour la Russie, déployer les régiments qui servent ces batteries permet de protéger ses villes majeures (Moscou, Saint-Pétersbourg) et de rappeler sa souveraineté dans des régions stratégiques éloignées comme l’Arctique (à Mourmansk), l’Extrême-Orient (à Vladivostok) et l’enclave de Kaliningrad entre la Pologne et la Lituanie. Au-delà des frontières internationalement reconnues de la Fédération, la Russie y a installé des batteries de S-400 en Crimée pour affirmer sa maîtrise et confirmer son annexion. Les S-400 sont comme des postes frontières avancés exactement comme les PATRIOT donnent une protection aux territoires américains.

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Rassurer les alliés

Les S-400 ont aussi vocation à rassurer les alliés contre les interventions américaines. Pour les amis traditionnels de la Russie, avoir ces systèmes de défense anti-missile, c’est bénéficier de technologies et c’est se voir décerner une marque de confiance. Le Belarus allié à la Russie a en effet obtenu deux batteries – à titre gracieux qui plus est. De même, la Chine a acquis des unités en 2014, au sommet de la lune de miel diplomatique entre Pékin et Moscou. La priorité était d’en équiper les abords de l’Asie centrale et du détroit de Taïwan afin de décourager des frappes éventuelles.

Carte des S400 dans le monde (en service et en projet)

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L’allié syrien a indirectement bénéficié de ces systèmes sans avoir à les acheter : dans le sillage de l’intervention russe en appui au régime Al-Assad, les troupes russes ont déployé deux batteries dans le pays.

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Les positionnements de tels missiles sur des théâtres militaires hors de Russie change la donne géopolitique d’une région. Il contribue à démultiplier le poids de la Russie dans les relations internationales. Et il donne une réplique à la politique américaine d’exportation des PATRIOT vers les alliés comme la Roumanie, la Pologne, le Maroc, le Japon ou la Corée du Sud.

Diviser ses rivaux : dans l’OTAN et en Inde

La politique commerciale très compétitive d’Almaz-Antey bouscule également les alliances des Etats-Unis. Que l’Iran ou l’Algérie, alliés historiques de la Russie se déclarent intéressés par les S-400 n’a rien d’étonnant. Mais que des partenaires historiques des Etats-Unis, comme l’Arabie Saoudite (cf. photo Poutine-MBS), l’Inde et l’Irak annoncent leur volonté d’acquérir des S-400 peut changer la position américaine dans le monde. L’Arabie Saoudite est en effet un consommateur de PATRIOT depuis la première guerre du Golfe.

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Pour les Etats-Unis, les S-400 sont un défi militaire, technologique et stratégique. D’un point de vue opérationnel, les S-400 peuvent réduire la suprématie aérienne mondiale des Etats-Unis. En Syrie comme en Iran, ils pourraient empêcher les frappes, notamment par des missiles de croisière Tomahawk. D’un point de vue technologique, le S-400 est perçu dans le monde comme une meilleure assurance vie anti-aérienne que les batteries PATRIOT, trop chèrs : si l’Arabie Saoudite et l’Irak s’y intéressent c’est pour limiter, à moindre coût, leur dépendance technologique à l’égard des Etats-Unis. Enfin, le succès commercial des S-400 soulève un véritable problème géopolitique : les réseaux d’alliance américains sont bâtis sur les achats d’équipements de défense américains comme les chasseurs F35.

Carte des PATRIOT dans le monde (en service et en projet)MIM-104_Patriot_sys.png

 

En un mot, la rivalité commerciale entre Raytheon et Almaz Antey est l’arbre qui cache la forêt : ce qui est en jeu, c’est la solidité des alliances américaines.