Le Japon lance la neuvième coupe du monde de rugby à XV. Jusqu’au 2 novembre, il sera scruté par les médias internationaux et plus d’un milliard de téléspectateurs selon les chiffres de la dernière édition. Cet événement peut-il avoir le même retentissement sur le pays que les Jeux Olympiques de 1964 ? Après la défaite de la Deuxième Guerre Mondiale et la renaissance économique, ces Jeux avaient consacré le retour du Japon sur la scène internationale.
Tous ceux qui se rendent au Japon ces derniers temps le constatent : les villes hôtes ont minutieusement préparé cet événement pour les 400 000 visiteurs attendus. Les mascottes de la Coupe fleurissent, la signalétique en anglais se déploie partout dans les rues. Il en va de la nouvelle stratégie d’image du Japon sur la scène asiatique face à la Chine et à la Corée et de son ancrage si particulier au sein du monde occidental. Dans la perspective des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020, le Japon réalise une opération de nation branding de portée mondiale.
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« Cool Japan » ou comment rajeunir son image
Pour les autorités publiques, la Coupe du monde s’insère dans une série d’événements destinés à renouveler l’image du Japon à travers le monde. L’organisation du G20 à Osaka en juin dernier, l’accueil des Jeux Olympiques par Tokyo en 2020 et la candidature d’Osaka pour l’Exposition universelle de 2025 marquent la résurgence du Japon dans la compétition mondiale du softpower – cette capacité à séduire, influencer et attirer sans le secours de la puissance économique et militaire théorisée par Joseph Nye. En 2012, les Jeux Olympiques de Londres avaient couronné le mouvement lancé la décennie précédente par Tony Blair pour faire sortir le Royaume-Uni de la grisaille thatchérienn et promouvoir une nouvelle image : le Cool Britannia.
Depuis une décennie, le Japon rajeunit son image. Rompant avec le conformisme, le consumérisme et la sinistrose du Japon des années 1990 et 2000, il a organisé un boom touristique. Il a ainsi attiré en 2017 de 30 millions de touristes internationaux soit deux fois plus que dix ans auparavant. Il s’agit d’une politique gouvernementale et locale, le Japan Revitalization Strategy de 2016 qui vise à doubler de nouveau le nombre de touriste entre 2015 et 2025. De même, le poids du tourisme dans le PIB, aujourd’hui de 0,6%, doit s’élever à plus de 1%. La marque « Japon » s’appuie sur la diffusion universelle de la cuisine japonaise, de la culture manga et des Japanexpo. Le Japon n’exporte plus seulement des automobiles, des appareils électroniques et des capitaux. Il attire à lui les jeunes, les créateurs, les tendanceurs et les hispters.
La Coupe du monde de rugby est la répétition générale de l’événement essentiel de la décennie : les Jeux Olympiques de Tokyo à l’été 2020. Leur succès pourra constituer le point d’orgue d’une vaste opération de transformation de l’image du Japon.
Affirmer son statut face aux rivaux régionaux
La Coupe du monde sera le moyen de prendre l’avantage sur ses concurrents régionaux avant une nouvelle célébration de la puissance chinoise lorsque Pékin accueillera les Jeux Olympiques d’hiver en 2020.
Dans la région, Japon, Chine et Corée du Sud sont engagés dans une compétition très âpre pour la suprématie dans le domaine du sofpower asiatique. On connaît les atouts de la Chine en matière d’influence : sur le plan sportif, des Jeux Olympiques de 2008 à ceux de 2022, elle est devenue une superpuissance tant par les capacités d’organisation que par les résultats dans tous les sports autrefois occidentaux. Cette stratégie se décline dans le domaine linguistique, avec la multiplication des Instituts Confucius, dans le domaine médiatique, avec la création de chaînes chinoises en langue étrangère, ou encore avec la diffusion d’un cinéma grand public relayant les représentations nationalistes de Pékin bien au-delà des diasporas chinoises. La Chine est un rival sérieux pour la stratégie d’influence japonaise.
La rivalité avec la Corée du Sud est sans doute tout aussi forte. L’organisation conjointe par le Japon et la Corée, en 2002, de la Coupe du monde FIFA de football ne doit pas faire illusion. Alimentée par le ressentiment coréen issu de la dernière Guerre Mondiale, nourrie par la compétition économique et technologique, la rivalité Japon-Corée est forte. Depuis plus de deux décennies, la Corée du Sud déploie une stratégie d’influence culturelle particulièrement réussie. Ses séries télévisées et ses films, ses chanteurs et ses groupes de K-Pop, ses modes vestimentaires et esthétiques inondent l’Asie, du Nord au Sud. Le mode de vie coréen est devenu le rêve des jeunes indonésiens, singapouriens, malaisiens, etc. Le Japon doit rattraper son retard en Asie : il a pour cela simplifié les régimes de visas, augmenté le nombre de vols low costs pour Osaka et élargi les détaxes pour les touristes asiatiques épris de shopping.
Le Japon est aujourd’hui en position de challenger après le succès sportif et diplomatique des Jeux Olympiques d’hiver à Pyeonchang en février. Ils avaient renforcé, si ce n’est permis, la relance d’un dialogue entre Nord et Sud ainsi qu’avec les Etats-Unis. Avec la Coupe du monde et les Jeux Olympiques, le Japon dispose de sa propre fenêtre d’opportunité dans le domaine de la diplomatie sportive.
Le Japon, un pays occidental ?
A la différence des Jeux Olympiques et de la Coupe du monde de football, la Coupe du monde de rugby n’est pas réellement universelle. Son audience est dix fois moins large que celle des Jeux. La planète rugby a une géographie très particulière : l’Australie et la Nouvelle Zélande y sont des superpuissances alors que les Etats-Unis et la Russie ne sont que des acteurs de second rang. Quant à l’Inde à la Chine et au Brésil, ils sont absents.
Participants aux phases qualificatives de la coupe du monde de rugby 2019
Depuis qu’il se consacre au rugby aussi sérieusement qu’il s’est mis au football, le Japon a délibérément poursuivi son ancrage géoculturel particulier, entre Asie et Europe, entre puissances occidentales et cultures asiatiques. En organisant la première coupe du monde de rugby en Asie et en promouvant ce sport britannique t latin qu’est le rugby, le Japon réaffirme sa position géopolitique irréductible à celle de ses rivaux du continent. Les liens avec les Etats occidentaux de l’espace indo-pacifique en sortiront renforcés. Face à la Chine et à l’Inde, renouveler, sur le terrain, l’alliance culturelle avec l’Australie, la France, la Nouvelle Zélande, l’Angleterre et l’Afrique du Sud sera le bienvenu au moment où l’alliance américaine traverse les turbulences de la présidence Trump.
Moins que les JO de 1964 mais bien plus que la Coupe du monde de football de 2002, la Coupe du monde de rugby a vocation à réaffirmer la puissance d’attraction du Japon bien au-delà de sa sphère d’influence traditionnelle. Au Japon aussi, le sport c’est de politique !