À quelques jours des élections législatives iraniennes, Clément THERME, du CERI, répond aux questions d’EurAsia Prospective sur leurs enjeux.
Clément Therme est chercheur post-doctorant au sein de l’équipe « Savoirs nucléaires » du CERI à Sciences Po Paris. Il a notamment dirigé l’ouvrage L’Iran et ses rivaux. Entre nation et révolution aux éditions Passés Composés à paraître le 19 février 2020.
Retrouvez la présentation de son livre ici : Clément THERME Iran Livre
EAP : quels sont les camps en présence? L’opposition entre réformateurs et conservateurs est-elle factice?
Clément THERME : les conservateurs et les « modérés » sont en compétition mais au-delà la lutte inter-factionnelle, il s’agit pour les instances révolutionnaires de préparer la présidentielle de 2021 en faisant émerger une nouvelle génération de conservateurs. La disqualification massive des réformateurs par le Conseil des Gardiens de la Constitution rappelle celle précédant les élections législatives de 2004 qui avait préparé la campagne présidentielle victorieuse de Mahmoud Ahmadinejad en 2005. Le problème cette-fois ci est que l’ingénierie électorale rencontre une défiance encore plus grande de la majorité de la population vis-à-vis de l’ensemble du système politique. Dans un contexte où les appels au boycott se multiplient de la part des opposants à la République islamique mais aussi d’une partie des anciens réformateurs, il y a un double risque pour la théocratie iranienne : comment assurer une participation officielle à plus de 60% pour montrer l’adhésion au système et comment éviter que les disqualifications ne conduisent ces figures politiques du réformisme à la dissidence?
La division entre conservateurs et réformateurs est apparue dans le contexte post-guerre froide des années 1990 : elle visait à renforcer la légitimité populaire du système politique après la disparition du leader charismatique, l’ayatollah Khomeyni en organisation une « alternance » au sein des institutions élues de la République islamique. Cependant cette division ne reflète pas des divergences en termes de politique économique entre « étatistes » et « libéraux » qui ont toujours été trans-factionnelles.
EAP : les questions économiques et les manifestations de jeunesse de l’automne et de l’hiver vont-elles recevoir une expression politique lors du scrutin?
Clément THERME : pour la République islamique, il s’agit au contraire d’exclure les opposants de la classe populaire en organisation une solidarité de façade au sein des élites politiques et ce afin de masquer la polarisation croissante au sein de la société avec une opposition à la République islamique qui devient de plus en plus populaire face à l’absence de solutions proposées aux problèmes de la population (droits de l’homme, développement économique, lutte contre la corruption etc…) par l’establishment politique dans le cadre de la République islamique. Même si le Guide a appelle à une participation massive allant au-delà des clientèles de la République islamique qui représentent 10 à 20% de l’électorat (plus de 50 millions d’électeurs potentiels), force est de constater que cette position contredit le discours révolutionnaire qui réduit le nationalisme iranien au seul héritage idéologique khomeyniste comme on l’a vu dans la propagande de la République islamique pour justifier la répression des manifestations populaires anti-systèmes depuis 2017.
Cette confusion entre défense de la patrie et participation aux élections apparaît incongrue en raison de l’absence d’ouverture de la République islamique face à la critique populaire s’exprimant dans des manifestations spontanées mais aussi en raison du filtrage des candidatures qui empêche l’expression par l’élection d’une alternative politique à la voie tracée par le Guide suprême qui nie l’existence de toute autre forme de patriotisme en dehors de la défense de la Révolution islamique. Celle-ci s’incarne plus particulièrement dans la préservation de la fonction de Guide suprême et du corpus idéologique khomeyniste.
EAP : les questions internationales peuvent-elles être véritablement clivantes après l’unité nationale observée en début d’année lors de la mort du général Soleimani?
Clément THERME : Il n’y a pas eu de véritable « unité nationale » mais plutôt une unité des différentes factions politiques qui soutiennent le projet politique de la Révolution islamique. Les enjeux internationaux de l’élection concernent un retrait plus ou mois rapide de l’Iran de l’Accord sur le nucléaire de 2015 et la fin d’une stratégie des institutions élues (dont fait partie le parlement) d’une plus grande transparence financière comme l’ont montré les tentatives avortées du gouvernement Rohani et du parlement « modéré » de faire adopter des lois évitant le retour de la République islamique sur la liste noire du Groupe d’Action Financière (GAFI). Il y aura aussi avec un parlement conservateur une accélération de la politique vers l’Est de la République islamique qui prévoit un rapprochement avec la Chine, la Russie et l’Union eurasiatique.
EAP : le réseau des alliances iranien en Syrie, au Liban, au Yémen, en Irak peut-il être affecté par ces élections? directement ou indirectement
Clément THERME : Ces élections risquent de sanctionner la fin de débats contradictoires et de la production de recherche critiquant l’engagement régional de la République islamique par le biais de son réseau d’influence idéologique, sécuritaire et économique. Le parlement n’a pas de rôle important dans la prise de décision mais il était plutôt un lieu de débat entre insiders (khodi) du système (nezam) de la République islamique. Ce réseau d’influence répond directement au Guide pour la définition des lignes politico-idéologiques et, sur le plan opérationnel, il est sous le contrôle des Gardiens de la Révolution (pasdaran).