Marc Julienne a rejoint l’Ifri en 2020. Ses travaux portent principalement sur la politique étrangère, de sécurité et de défense en Chine, ainsi que sur la politique intérieure et l’évolution de l’appareil de sécurité nationale chinois. Il poursuit par ailleurs une thèse de doctorat à l’Inalco, portant sur les stratégies chinoises de lutte contre le terrorisme. Il est pour cela rattaché à l’Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est (IFRAE, FRE 2025, Inalco/université Paris Diderot/CNRS).
Précédemment, Marc Julienne a été chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) pendant quatre ans. Il a aussi été doctorant associé à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM, 2016-2019), et chercheur à Asia Centre (Paris) pendant deux ans. Il a enfin été chercheur invité au Mercator Institute for China Studies (MERICS, Berlin, 2015) et à la Shanghai Academy of Social Sciences (SASS, Shanghai, 2017). Il est diplômé du Master Hautes Études Internationales (HEI) en chinois de l’Inalco.
EAP : Quel bilan politique dressez-vous de la façon dont les autorités chinoises ont traité la menace d’épidémie de COVID-19 ?
Marc Julienne : c’est un bilan en demi-teinte. Le COVID-19 a dans un premier temps mis en lumière les dysfonctionnements structurels du régime politique chinois, que les observateurs de la Chine connaissaient déjà. La circulation de l’information entre les pouvoirs locaux et l’autorité centrale est erratique. La discipline et les performances imposées aux cadres locaux ont pour conséquence de ne faire remonter que les bonnes nouvelles à Pékin et de dissimuler les mauvaises. Ainsi, l’identification et la prise en charge de l’épidémie se sont révélées chaotiques et contre-productives, notamment quand la police de Wuhan a préféré arrêter et réprimander les médecins lanceurs d’alerte plutôt que d’écouter les mises en garde et agir face au risque épidémique. En raison de ces dysfonctionnements, environ un mois a été perdu dans la lutte contre l’épidémie, aujourd’hui d’ampleur internationale.
Dans un second temps, à partir de mi-janvier, le gouvernement central a rendu publique l’épidémie et a pris des mesures très fortes pour tenter de l’endiguer. Les festivités du Nouvel an ont été annulées, des villes entières ont été mises en quarantaine, les transports publics et lignes aériennes ont été restreintes, et des hôpitaux ont été construits à des vitesses records. De ce point de vue, on peut reconnaitre la détermination de la Chine dans sa réponse à la crise, bien que celle-ci comprenne aussi le renforcement de la censure et l’arrestation de voix dissidentes, avocats et intellectuels notamment.
EAP : Quels sont les risques politiques intérieurs auxquels le pouvoir chinois devra sans doute faire face à courte échéance?
Marc Julienne : sans crier à la catastrophe imminente pour le régime, le COVID-19 représente un défi important pour l’équipe dirigeante. Pour le président Xi Jinping, ce défi est double. Le coronavirus pourra être utilisé par ses détracteurs au sein du Parti pour tenter de remettre en cause sa crédibilité et sa légitimité à gouverner le pays. Pour certaines élites au sein du Parti, le mouvement pro-démocratie à Hong Kong, la campagne de rééducation au Xinjiang, ou encore les élections à Taiwan remportées par le Parti démocrate progressiste, sont autant d’échecs qui résultent d’erreurs de la gouvernance de Xi Jinping. Le coronavirus ayant des conséquences encore plus importantes que les crises précédentes, il pourrait devenir, non pas la goutte, mais le seau d’eau qui fait déborder le vase pour les détracteurs de Xi.
Le deuxième défi pour Xi Jinping et pour l’ensemble du Parti est de réaffirmer la légitimité du régime vis-à-vis de la société civile qui a massivement dénoncé les failles des autorités et le manque de liberté d’expression qui ont aggravé la diffusion de l’épidémie.
Face à ce double défi, on doit s’attendre (et l’on en a déjà vu les signes dans la province du Hubei) à un resserrement durable de la censure et du contrôle politique dans les sphères publique et privée. Un nouveau renforcement de l’autoritarisme en somme.
EAP : Quelles conséquences de long terme aura cette épidémie pour la politique extérieure de la RPC?
Marc Julienne : je ne vois pas de conséquences du COVID-19 sur la politique étrangère chinoise, dont les grands principes et positions vont rester inchangés. La politique économique (intérieure et extérieure), en revanche, s’en trouve d’ores et déjà bouleversée. Déjà mise en difficulté dans la guerre commerciale qui l’oppose aux Etats-Unis, la Chine glisse avec le coronavirus dans une situation de plus grande vulnérabilité.
En outre, la crise du COVID-19 a provoqué une onde de choc dans l’ensemble des secteurs économiques mondiaux liés à la Chine. Un très grand nombre d’entreprises dépendantes des chaînes d’approvisionnement ou du marché intérieur chinois réfléchissent à diversifier leurs sources d’approvisionnement et leurs débouchés commerciaux afin de réduire cette dépendance. En cas de crise sanitaire, de catastrophe naturelle ou d’instabilité politique, une entreprise dépendante de la Chine s’expose à une mise en péril de son activité toute entière. De nombreuses entreprises ayant d’ores et déjà pris leurs dispositions pour trouver de nouvelles chaînes d’approvisionnement et pour stimuler leurs ventes sur d’autres marchés, pourraient conserver ce type de stratégie une fois la crise passée. Ce faisant, la crise pourrait porter un préjudice relatif mais durable à l’économie chinoise.
Un point reste à observer cependant sur le plan des relations extérieures de la Chine. Il s’agit de la réaction du nombre croissant d’Etats qui se voient touchés par le coronavirus (des Etats-Unis à l’Australie, en passant par l’Italie, l’Iran et Singapour) et qui pourraient tenir Pékin responsable de n’avoir pas su contenir l’épidémie.