Cédric Klimcik, fondateur du Junior Business Club France Russie et du ФORUM (KLIMCIK – Eurasia Prospective)

Eurasia Prospective : Cédric Klimcik, un article des Echos mentionne votre action au service du développement de nouvelles relations avec la Russie. Un rapport du Sénat publié il y a quelques années mentionnait les dangers de la situation actuelle : « France – Russie : pour éviter l’impasse« . N’est-ce pas difficile d’incarner une troisième voie, entre critique systématique de la Russie et soutien inconditionnel de la Russie et de ses outils d’influence – pro-européen et anti-russophobe ? D’autant qu’un certain nombre de pays européens ont été sceptiques face à la tentative française de renouer le dialogue…

Cédric Klimcik : Le plus difficile dans le contexte actuel est en effet de convaincre ces deux blocs hermétiques, en France, en Russie et ailleurs en Europe (Bruxelles, Varsovie…) qu’être pro-européen et anti-russophobe n’est pas incompatible et que cela porte l’intérêt de toutes les parties prenantes.

La crise ukrainienne de 2014 est venue mettre un sérieux coup d’arrêt au timide mais progressif développement des relations économiques et politiques entre Russie et Occident depuis le début des années 2000, essentiel à la stabilité et à la prospérité de tous en Europe. Le conflit est au contraire venu raviver le très lourd héritage mémoriel de la guerre froide qui paralyse tout autant les dirigeants politiques que les citoyens, à l’Ouest comme à l’Est. Comment faire confiance aux Russes ? Comment faire confiance aux Occidentaux ?

Depuis cette crise, la Russie est redevenue une véritable source de préoccupations pour ses voisins occidentaux tant les ambitions de grandeur sont affichées et tant le système semble stable. Le retour de la Russie au premier plan du jeu européen favorise les passions nationalistes et les leaders qui les portent, aussi bien en Russie que dans les PECO. La stratégie géopolitique s’entremêle alors à des fièvres nationales à forts rendements électoraux.

La France apparaît donc comme un acteur nécessaire, mesuré et ferme, capable dans cette crise politique fragilisant l’Europe de renouer les liens. Outre le format Normandie, porteur de résultats en demi-teinte, le nouveau dialogue franco-russe doit pouvoir s’articuler autour de fondamentaux quant à l’architecture de sécurité et de paix pour l’Europe de demain. Tout plan éventuel a plusieurs prérequis : la prise en compte mutuelle des intérêts du bloc européen, de la Russie et du peuple ukrainien, mais aussi une politique d’ouverture au dialogue entre le Kremlin et les capitales est-européennes. Cela passera nécessairement par une relecture commune des antagonismes, une meilleure connaissance du partenaire et des rapports de force en vigueur, et un dialogue volontariste rempli de franchise.

Lors de votre année d’études à Moscou, quels sont les stéréotypes qui vous paraissent les plus préjudiciables dans la relation bilatérale ?   

Lors de mon arrivée pour la première fois à Moscou en septembre 2017, je ne m’attendais pas à voir une ville si prospère, propre et dynamique. Les images de la Russie que nous avons pour la plupart cultivées dans notre imaginaire collectif dataient des années 90 ou de l’époque soviétique, démodées, sombres et pessimistes. Le choc fut aussi intéressant du fait des nombreux contrastes présents en Russie. L’accumulation de richesses et de modernité dans les centres villes de Moscou ou de Saint-Pétersbourg, pourtant vitrines du faste soviétique et tsariste peut contribuer à fausser l’image du pays entier, beaucoup plus modeste en équipements ou développements.

Les stéréotypes sont donc a priori tous préjudiciables dans la mesure où ils contribuent à radicaliser les opinions et observations. L’absence d’un regard contrasté de l’autre est ce qui dessert le plus la relation bilatérale franco-russe, notamment sur des sujets d’ordre politique ou sociétal. Les opinions, prenant une dimension passionnelle dès qu’il s’agit d’évoquer la Russie ou l’Ouest, se cristallisent dans des pôles de plus en plus éloignés, qui ne se parlent plus, présentant une lecture trop sélective de la réalité : soit tout est y fantastique, soit tout y est catastrophique.

Les stéréotypes empêchent également un suivi en temps réel des évolutions culturelles. Si les Français et les Russes aiment souvent dire qu’ils se connaissent plutôt bien, les références encore utilisées aujourd’hui sont anciennes et faussent réellement la perception des deux sociétés. Selon une étude menée pour le compte du Dialogue de Trianon, Gérard Depardieu, Pierre Richard ou Mireille Mathieu sont par exemple les personnalités françaises culturelles les plus fréquemment citées par les Russes.

La relation franco-russe doit donc évoluer et sortir progressivement d’une pratique nostalgique de ses liens en se projetant vers des projets d’avenir, retranscrivant une image fidèle de l’avancement culturel et social des populations. Les échanges scolaires et académiques entre France et Russie doivent par exemple être facilités et subventionnés afin de permettre aux jeunes de déconstruire les mythes et se forger une opinion réaliste du terrain.

 

En quoi consiste le « Junior Business Club France Russie » que vous avez fondé, ainsi que les autres initiatives dans lesquelles vous êtes impliquées ?

Avec le JBC, nous souhaitons donc déconstruire les mythes, apprendre à nous connaître, réussir à travailler ensemble. Qui de mieux que les jeunes, qui n’ont pas connu l’antagonisme de la guerre froide pour amorcer ce changement de paradigme, pour dépasser les frontières psychologiques, pour réconcilier l’Europe ?

Le Junior Business Club France Russie a ainsi été lancé en 2019 et réunit une trentaine de membres actifs, étudiants ou jeunes diplômés, à Paris, Moscou et Lyon. Nous organisons des conférences dans les écoles partenaires du JBC tout comme des événements thématiques (consulting, juridique…) plus informels ouverts au grand public afin de souder les liens de cette communauté franco-russe grandissante. Le ФORUM (Forum) qui devait avoir lieu en avril 2020 à HEC Paris et à l’Assemblée nationale représentera l’aboutissement de la phase 1 de notre développement : rassembler des talents français et russes de divers horizons académiques, professionnels et géographiques afin, dans un deuxième temps, de porter des projets d’avenir entre la France et la Russie, tels que des junior-entreprises russes ou des start-ups.

En amont de ce projet économique, lors de mon passage au MGIMO en année d’échange en 2017/2018, j’avais été surpris par l’excellent niveau de français des étudiants de l’institut de relations internationales, élément vital de tout possible rapprochement bilatéral. J’avais alors créé avec deux camarades de Sciences Po un concours d’éloquence en langue française, le Prix Vassily Trediakovsky, destiné aux étudiants non francophones de naissance de l’institut. Les résultats ont été concrets dans la mesure où les participants ont pu s’immerger dans un exercice prisé de la culture universitaire française tout en développant des liens d’amitié avec les étudiants français de l’institut, coachs et spectateurs.

La transition vers le JBC s’est ensuite opérée dans une volonté de rassembler davantage de profils, étudiants et alumni, autour de thématiques plus concrètes, vectrices de synergies entre ingénieurs, data scientists ou chercheurs. A travers ces activités, nous espérons multiplier les échanges, mettre en avant les talents de part et d’autre du pont, prêts à le traverser et à travailler ensemble. Une tâche certes ambitieuse, avec quelques embûches en chemin, mais pour autant nécessaire pour notre avenir commun.