Florent Parmentier a publié avec Josette Durrieu La Moldavie à la croisée des mondes, Paris, Non Lieu, 2019. Il répond aux questions de Moldavie.fr et d’Eurasia Prospective au sujet de l’élection de Maïa Sandu.

Avec plus de 57% des voix au second tour, Maïa Sandu a remporté les présidentielles par un raz-de-marée. L’ampleur de cette victoire avait-elle été anticipée ?
Florent Parmentier : incontestablement, l’ampleur de sa victoire a surpris de nombreux observateurs. Après tout, en 2016, Igor Dodon avait été en mesure de l’emporter au second tour, après avoir frôlé la victoire dès le premier tour. Comment expliquer un tel résultat ? On peut avancer essentiellement trois causes majeures.
Tout d’abord, il faut observer la mobilisation des partisans de Maïa Sandu, qui est allé au-delà de son électorat naturel. Il était attendu qu’elle puisse bénéficier d’un soutien fort de la part de la diaspora, mais il n’était pas nécessairement prévu qu’elle obtienne près de 93% des 250 000 voix en provenance de l’étranger (16% des suffrages exprimés). Elle a également pu compter sur le renfort de Renato Usati, le maire de Balti arrivé en 3e position avec environ 17% des voix. Remarquablement, elle a également gagné en Moldavie même, au-delà de la diaspora.
Ensuite, Igor Dodon a souffert de l’usure personnelle du pouvoir. Cela s’est manifesté par les accusations de corruption à son encontre, mais également par le fait qu’il n’est plus la locomotive attendue par son parti. Le PSRM reste fort, mais Dodon n’a plus la même influence, et cela s’est ressenti. Par contraste, l’opinion publique a accrédité l’idée selon laquelle Maïa Sandu reflète des valeurs d’honnêteté et de compétences.
Enfin, il convient de ne pas oublier le contexte plus général de la pandémie, qui a frappé sévèrement la Moldavie. Elle a généralement contribué dans le monde à défaire les sortants, et la Moldavie n’a pas échappé à la tendance.

Les élections présidentielles ont-elles rebattu les clivages politiques présents en Moldavie ?
Florent Parmentier : On décrit généralement le clivage politique en Moldavie entre pro-Européens, pro-roumains et pro-russes. C’est certainement réducteur, dans la mesure où les différents partis composent assez rapidement avec la réalité du pouvoir : les « pro-russes » doivent traiter avec Bruxelles, et que les « pro-européens » doivent composer avec une politique multi-vectorielle. Quant aux pro-roumains, ils n’ont pas pesé énormément au cours de cette campagne électorale qui a été décevante pour eux. Par ailleurs, la réorientation économique a déjà eu lieu en faveur des marchés européens, ce qui limite les possibilités d’une réelle politique « pro-russe ». Aujourd’hui, la Transnistrie a pour principal client la Roumanie, puis l’Ukraine et enfin la Russie.
Toutefois, on peut observer qu’il reste des clivages très puissants chez les électeurs : la Gagaouzie a par exemple voté à près de 95% pour Igor Dodon au second tour, davantage que la Transnistrie, qui s’est aussi plus mobilisée au second tour qu’au premier. Chez les moins de 25 ans, dont une partie significative est à l’étranger, c’est à près de 75% qu’ils ont rejeté le pouvoir en place. Dans le cas des perdants de cette élection, on tente de remobiliser son électorat autour des thèmes de la langue russe et des relations avec la Russie. La nouvelle Présidente cherche elle à montrer qu’elle sera avant tout pragmatique en la matière.
La nouvelle Présidente pourra-t-elle mettre en œuvre sa politique rapidement ?
Florent Parmentier : en cas de défaite étroite, le parti d’Igor Dodon avait émis son souhait de manifester pour contester le résultat. Au vu de la large défaite, le Président sortant n’a pas souhaité ajouter à la déstabilisation du pays. D’ailleurs, Maïa Sandu a été reconnu rapidement par ses homologues européens, mais aussi par Vladimir Poutine et le Patriarche de Moscou. Le Président Dodon a donc fait la preuve qu’il était meilleur perdant que son homologue américain en concédant rapidement la défaite !
Au-delà de la boutade, la nouvelle Présidente ne détient pas l’ensemble des pouvoirs. Selon la Constitution, elle ne peut dissoudre qu’en l’absence de gouvernement. Or, depuis les élections parlementaires de février 2019, il y a eu plusieurs gouvernements en Moldavie, Sandu et Chicu. En outre, certains députés auraient beaucoup à perdre en cas de dissolution, et ont donc fait corps avec le PSRM d’Igor Dodon. Une nouvelle coalition émerge donc au Parlement entre le PSRM, le parti Shor et une partie d’ancien du Parti démocrate, qui ne vont rien faire pour simplifier le travail de la nouvelle Présidente. Avec 14 députés sur 101 et des élections à venir en 2023, la position de Maïa Sandu est compliquée mais les attentes sont fortes.