Vers un retour des tensions en Bosnie? (Maxime BOSKOV-EAP)

 

Selon Christian Schmidt, le Haut-Représentant de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine, la perspective d’un retour de conflit est « très réelle ». Ainsi, la Republika Srpska, la République serbe de Bosnie, revient sur le devant de la scène médiatique régionale et internationale. Qu’est-ce que cette entité ? Quelles sont les tensions ? Et pourquoi, une résurgence du conflit presque 21 ans après la fin de la guerre de Bosnie ?

 

Lors de l’explosion de la Yougoslavie, une Assemblée serbe de Bosnie fut créée en 1991 et porta la voix des opposants à l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine. Depuis la fin de la guerre, en 1995, la Bosnie-Herzégovine n’est pas unifiée. Elle est divisée en trois entités autonomes, dont la Republika Srpska, la République serbe de Bosnie. C’est dans cette république, située dans le Nord et l’Est du pays, qu’est élu un des trois présidents dirigeant collégialement la Bosnie-Herzégovine. Depuis 2018, c’est Milorad Dodik, qui occupe cette fonction.

La République serbe de Bosnie a donc un statut et un rôleinstitutionnel. Depuis l’éclatement de la Yougoslavie, elle est chargée de représenter les populations serbes orthodoxes, dans un pays où elles doivent cohabiter avec des bosniaques musulmans et des croates catholiques.

Pour remplir leurs fonctions respectives, ces troissubdivisions de la Bosnie-Herzégovine bénéficiaient, d’après les accords de Dayton (1995), de pouvoirs étendus : elles avaient compétence pour tout domaine qui n’était pas explicitement attribué aux institutions centrales. Cependant, la pratique a affaibli, au fil des ans, les trois entités au profit de « l’Etat central » en lui transférant des pouvoirs régaliens. En conséquence, une partie des serbes de Bosnie se sentent trahis et voient une diminution de leur souveraineté dans les actions des Hauts Représentants successifs.

C’est tout l’objet de la discorde : la souveraineté des entités réunies au sein de la Bosnie. Le Haut Représentant dispose de pouvoirs tels qu’il peut s’opposer à la volonté des peuples de Bosnie-Herzégovine. Ces prérogatives sont appelés les « pouvoirs de Bonn », ils permettent, depuis 1997, au Haut Représentant « d’imposer des mesures législatives ou de démettre des élus ou des fonctionnaires s’opposant à l’application des accords de paix ». De plus, comme le souligne un rapport sénatorial de Bosnie, les décisions du Haut Représentant sont « faiblement contrôlées ». Concrètement, la définition du drapeau de Bosnie-Herzégovine, ou encore une part de l’organisation administrative du pays, sont du ressortde ce Haut Représentant.

C’est contre ces décisions que Milorad Dodik s’insurge. Il veut donner à la République serbe de Bosnie une armée et une police propre. Certains voient à travers ces prises de position, une volonté sécessionniste. Mais les « pouvoirs de Bonn » conférés au Haut-Représentant entrent en tension avec les principes de souveraineté nationale aux yeux des entités fédérées.

Certains justifieront le maintien de ces compétences par la persistance des tensions ethniques et religieuses. Il ne faut pas les nier. Si elles ont été mises sous silence par la force militaire, les pouvoirs civils n’ont pas su résoudre ces tensions, comme l’affirma la France devant le Conseil de sécurité en juin 2021. On a gagné la guerre mais pas la paix …

Que ces tensions perdurent est une chose mais comment expliquer que celles-ci reviennent aujourd’hui ? La mise en perspective avec le contexte international apporte un éclaircissement intéressant.

En 1995, les Etats-Unis étaient une superpuissance quasi-hégémonique face à une Union soviétique sur le déclin. Aujourd’hui, la Fédération de Russie peut à nouveau peser dans les Balkans et se poser en protectrice des Serbes dans la région. Mais, Moscou n’est plus seule face aux Américains.Un « allié » de circonstance est là : la République Populaire deChine. La réunion du Conseil de Sécurité des Nations unies du 29 juin 2021 montre cette proximité entre les alliés d’Orient. La couverture de la réunion vient aussi nuancer l’idée « d’alliés » des slaves. Implicitement, on voit plutôt que les chinois, pour se confronter aux Etats-Unis, sont prêts à défendre la démocratie en voulant « respecter le choix de la population bosnienne quant à l’avenir de son pays ». Venant d’un pays au Parti unique, cela ne manque pas de saveur.

En somme, le renouveau de la polarisation du monde décomplexe la parole des serbes de Bosnie.