Kevin BADEAU du magazine Le Point m’a interrogé sur le discours du président russe du 21 février dernier : reconnaissance de l’indépendance des territoire séparatistes de Donetsk et Luhansk, envoi de troupes pour « protéger » ces nouveaux « Etats », etc. quels sont désormais les objectifs de la Russie en Ukraine?
Retrouvez l’interview sur Le Point.

Kevin BADEAU : qui sont les habitants du Donesk ?
Cyrille BRET : il s’agit de citoyens ukraniens depuis l’indépendance du pays proclamée en août 1991 et confirmée par référendum en décembre de la même année. Ces citoyens sont majoritairement russophones. On peut estimer leur proportion à 90 % sans trahir la vérité. Pour autant, depuis une dizaine d’années, on dénombre une part croissante de binationaux russo-ukrainiens. La fédération de Russie conduit en effet une politique active de distribution de passeports dans cette région, où quasiment tout le monde sait parler russe.
Kevin BADEAU : la population est-elle la même dans le Lougansk, l’autre République autoproclamée ?
Cyrille BRET: il y a bien sûr des nuances, mais globalement la situation est la même : une large majorité de russophones.
Kevin BADEAU : ces deux régions se sentent-elles vraiment ukrainiennes ?
Cyrille BRET : le président russe veut poser la question « est-ce qu’il existe une nation ukrainienne « ? A mon idée, la bonne clef de lecture est la perte d’identification de ces populations avec l’Ukraine. Il faut savoir, par exemple, que le président ukrainien Volodymyr Zelensky ne parlait que russe avant d’être élu en avril 2019 !
Du point de vue de Vladimir Poutine, le peuple ukrainien est une fiction. Il nie sa spécificité, il nie son indépendance. Il est quoi qu’il en soit très difficile d’établir qui, en Ukraine, veut être dirigé par Kiev ou Moscou. Les consultations libres sont assez rares…
Kevin BADEAU : Poutine dit vouloir maintenir la paix dans ces régions russophones. Quelles sont ses véritables ambitions ?
Cyrille BRET : il estime que les Russes et les russophones de ces régions sont persécutés. Il a même employé le terme de génocide. En reconnaissant ces deux République autoproclamées, il envoie un message clair à la population internationale : si ces régions sont attaquées par le pouvoir ukranien qui voudrait les reprendre, alors il interviendra militairement.
Kevin BADEAU : l’annexion du Donesk et du Lougansk, comme la Crimée en 2014, est-elle la suite logique ?
Cyrille BRET : c’est en tout cas la menace qu’il fait peser. Il y a deux scénarios, maintenant qu’il a reconnu l’indépendance de ces deux Républiques autoproclamées. Soit on en reste là, à la géorgienne. Ce pays compte lui aussi deux républiques autoproclamées vassales de la Russie, l’Abkhazie et l’Ossétie du sud. Le territoire de Géorgie se retrouve ainsi mité. Soit un scénario à la criméenne pour purement et simplement annexer les deux territoires en question. Poutine ferait organiser des élections dans le Donesk et dans le Lougansk, puis une consultation au Parlement russe. Ces deux consultations aboutiraient alors à un rattachement à la Fédération de Russie.
Kevin BADEAU : l’Europe va décider de sanctions contre la Russie dans l’après-midi. Poutine va-t-il reculer ?
Cyrille BRET: sur l’indépendance de ces deux régions ? Non, c’est fini. La situation est irréversible. Il s’est engagé devant son opinion. Plus aucun retour n’est possible. Il a invalidé les accords de Minsk. En revanche, il peut encore faire machine arrière sur l’opération militaire dont il brandit la menace. Il évaluera la situation en fonction de la réaction des Occidentaux.
Kevin BADEAU : faire de l’Ukraine une « grosse Suisse » de l’Europe orientale est-elle encore une option envisagée ?
Cyrille BRET : c’est trop tard. Le scénario de la neutralité est compromis. La reconnaissance de l’indépendance des deux territoires ukrainiens par Vladimir Poutine cristallise les opinions et polarise la situation. Il est vraisemblable que l’Ukraine intègre l’Otan, ce que combat d’ailleurs le président russe.