Volodymyr Zelensky, maître de la communication (LABBEZ-PONCELET)

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les médias et les opinions publiques occidentales saluent unanimement la maîtrise de la communication par le Président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Son intervention en visioconférence, dans un décor très simple, pour demander l’adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne a ému le Parlement européen qui l’a applaudi à tout rompre. Cette intervention résume à elle-seule la stratégie et la force de communication du Président Zelensky : simplicité, proximité (du moins en apparence) et impact de la vidéo. Résultat, en une semaine, l’opinion publique occidentale en a fait une figure héroïque.

Face à lui, le régime russe présente la communication classique des dictateurs, une communication datée où les moyens utilisés éloignent le maître du Kremlin de ses interlocuteurs. On imagine en effet mal Vladimir Poutine faire un Facebook live pour débriefer de la situation de terrain.

Dans cette guerre, la communication de deux camps devient ainsi à la fois un champ de bataille et une arme, qui pourrait se révéler aussi importante que les capacités militaires des deux belligérants.

Zelensky V. Poutine : deux communicants de deux mondes différents

Zelensky et Poutine ont beau vivre dans des pays limitrophes, leurs univers sont diamétralement opposés. Zelensky a 44 ans, Poutine 69. Le premier s’est fait connaître après avoir participé à une sitcom TV populaire, “Le serviteur du peuple”, incarnant, ironie du sort, un président jeune et dans l’air du temps, figure qu’il s’efforce de représenter aujourd’hui. Ancien humoriste, il maîtrise la communication sur les réseaux sociaux depuis toujours.

Vladimir Poutine est, lui, un ancien du KGB, qui a grandi et fait carrière pendant la guerre froide, dans un monde où la verticalité et l’unicité des médias était la règle … et l’est toujours en Russie. Sa communication en est le parfait exemple. Toutes les images, clips où il apparaît sont des photos et vidéos qui suscitent, comme Zelensky, l’émotion, mais pour des raisons inverses. Quand Zelensky émeut, parce qu’il semble proche de ses compatriotes, en T-shirt, l’air fatigué, Poutine, lui inspire la terreur assis à une table blanche gigantesque à plusieurs mètres de son interlocuteur.

En résumé, Poutine manie ainsi la propagande à l’ancienne, celles des grandes images fixes symboliques, n’offrant aucune possibilité de commentaires et contestation, face à un Zelensky qui lui manie les outils de propagande moderne : les réseaux sociaux.

Dans les deux cas, le résultat est identique, chacun écrit à travers sa communication l’h-Histoire qu’il veut. A tel point que Zelensky a réussi à totalement faire oublier ses démêlés avec la justice dans l’affaires des Pandora Papers qui révélait un réseau de sociétés offshore créées et entretenues par le président Zelensky et son entourage, ou les craintes du Haut-Commissariat des Nations unies aux droit de l’homme concernant la réduction des libertés fondamentales en Ukraine.

La maîtrise des réseaux par Zelensky, une première en situation de guerre pour un chef d’Etat

Il s’inscrit dans une génération nouvelle communication politique. La personnalité la plus célèbre mondialement est la représentante américaine Alexandra Ocasio-Cortez. La première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern est une pionnière dans l’utilisation de beaucoup de dispositifs par un dirigeant en exercice, mais n’a jamais eu à faire en temps de guerre. La grande nouveauté apportée à l’exercice par Zelensky est la tension dramatique du contexte, où il risque, réellement, sa vie.

La réalisation de cette communication repose largement sur les épaules du président en personne, ce qui est assez exceptionnel. Il doit être en capacité de tout faire lui-même, y compris la réalisation concrète de la vidéo. Cela suppose des compétences assez exceptionnelles à ce niveau de responsabilité.

Outre cette maîtrise technique, il dispose de la crédibilité suffisante pour que cette communication sonne juste. Acteur et producteur devenu candidat “anti-système” suite au succès de sa série “Serviteur du peuple”, il a été élu à la surprise générale, et a su transformer son aspiration pour une Ukraine moderne et indépendante, tournée vers l’Europe et la démocratie, en programme politique et en espoir pour ses compatriotes.

Il s’adresse à des publics cibles, vers qui tourner la communication pour remplir ses objectifs. Ici, le Président ukrainien semble avoir choisi d’influencer les chefs d’Etat étrangers à travers leurs populations. Il s’adresse ainsi directement non seulement au peuple ukrainien (voir par exemple ce post Facebook du 25 février), mais aussi aux peuples étrangers parmi lesquels le peuple russe (voir par exemple ce post Instagram du 27 février).

Enfin, la stratégie de communication s’appuie sur des canaux adaptés aux messages et aux publics. De ce point de vue, le Président Zelensky démontre sa maîtrise des codes des différents réseaux sociaux. Sur Twitter, qui ne compte « que » 350 millions d’utilisateurs actifs dans le monde1, mais qui demeure le principal média où s’informent les ONG, les politiques et les médias, il privilégie les messages dédiés aux institutionnels et aux médias en multipliant les marques de gratitude envers les pays étrangers pour marquer leur soutien (exemple de posts Twitter Roumanie, Japon, Turquie, Estonie…). Quant à Facebook et Instagram, qui comptent respectivement 2,7 et 1,2 milliards d’utilisateurs actifs dans le monde, le Président ukrainien y poste principalement des vidéos courtes, faciles à suivre sur smartphone (dont 2/3 de la population mondiale sont équipés).

Une stratégie de communication à destination des Européens

Cette communication du président ukrainien joue sur plusieurs niveaux.

Elle l’ancre dans le monde occidental de manière sensible, et illustre de manière éclatante la différence culturelle avec la Russie et sa proximité culturelle avec l’Ouest. En politique, l’incarnation est très importante pour faire passer les messages.

Cela se traduit par le contraste des dirigeants. D’un côté, un président jeune, dynamique, se présentant au quotidien, maniant avec habileté tous les codes de la communication digitale et de l’autre, un homme seul, qui met en scène son isolement dans les dorures et les marbres du Kremlin. Autant d’images-choc, qui font travailler les imaginaires, et jouent sur les symboles. Le but est que les opinions publiques occidentales s’identifient complètement à ce président, qui leur ressemble tellement, qui utilise leurs codes, avec leurs outils. Le Point qui fait sa une de cette semaine avec un portrait de “Volodymyr Zelensky, héros de la liberté”, montre que cet objectif est atteint.

Il fait également passer sa version, et sa lecture du conflit dans les médias occidentaux. Pour Zelensky, il s’agit de rappeler qui est l’oppresseur et qui est l’opprimé (voir par exemple ce post Facebook du 1er mars), de montrer l’union et la détermination de ses concitoyens face à l’adversaire (voir par exemple ce post Instagram du 27 février), de mettre en valeur le soutien de la communauté internationale (voir par exemple ce post Twitter du 26 février) ou encore de saluer le courage de la résistance civile dans les rues de Kiev (voir ce post Facebook du 26 février).

Cela permet, de manière très concrète, à Zelensky de jouer la carte de l’opinion publique occidentale, pour peser sur les gouvernements, jusqu’ici très frileux pour aider directement (et militairement) l’Ukraine. Les livraisons d’armes sont pour l’instant la seule action engagée, sur ce qui est la priorité du gouvernement ukrainien, l’engagement militaire. Face à la masse, en hommes et en équipements, de l’armée russe, les ukrainiens ont finalement assez peu de moyens, et risquent l’écrasement après une résistance héroïque.

Cette stratégie est l’arme de la partie militairement faible, pour gagner la bataille de l’opinion. Une stratégie qui a souvent réussi, car elle empêche le vainqueur militaire de tirer les fruits politiques de sa victoire.

1 Sur les usages des réseaux sociaux : https://wearesocial.com/uk/blog/2021/01/digital-2021-the-latest-insights-into-the-state-of-digital/

Guillaume Labbez, président de CommStrat, professeur affilié à Sciences Po Exécutive Éducation

Olivier Poncelet est délégué général d’une organisation professionnelle et membre du Conseil d’administration du Centre des Dirigeants d’Association Professionnelle (Cedap). A ce titre, il accompagne et conseille des dirigeants sur leurs stratégies de communication et d’influence. Il a également eu l’occasion d’exercer en cabinet ministériel et en institut de sondage. @ponceletolivier