Les neutralités finlandaises et suédoises à l’épreuve de l’invasion russe de l’Ukraine (CORCORAN-EAP)

L’offensive de la Russie contre l’Ukraine déclenchée le 24 février, en prévention de sa possible adhésion à l’OTAN, a eu des répercussions politiques majeures en Suède et en Finlande quant à leurs relations vis-à-vis de l’OTAN. Ces deux Etats ne sont pas membres de l’Alliance atlantique mais ont conclu avec elle un Partenariat Pour la Paix, comme l’Irlande (cf. mon papier du 15 mars).

Condamnant une « violation évidente du droit international » commise par la Russie, la Première ministre suédoises, Magdalena Andersson (social-démocrate, élue en 2021), a estimé que l’attaque de l’Ukraine constituait un « nouveau chapitre sombre de l’histoire européenne. » Condamnant également cette attaque, la Finlande a rehaussé le niveau d’alerte de ses troupes. Fait majeur, la Suède et la Finlande sont, en partie, sorties de leurs neutralités respectives en fournissant du matériel militaire à l’Ukraine pour l’aider dans son combat contre la Russie. La Suède a envoyé 5000 armes antichars, 5000 casques, 5000 protections de combat, 135 000 rations de combats et une aide de 46 millions € pour l’armée ukrainienne. Pareillement, la Finlande a envoyé 2500 fusils d’assaut, 150 000 cartouches de munitions, 1500 armes antichars et 70 000 rations de combat. Pour la Suède, il s’agit d’une rupture dans sa doctrine d’exportations du matériel militaire. La dernière fois que cela a eu lieu de façon significative fut quand l’URSS a envahi la Finlande en 1939 a rappelé Mme Andersson le 27 février (cf. photo).

Magdalena Anderson, PM de Suède

Une invasion qui pousse davantage la Suède et la Finlande dans les bras de l’OTAN

Depuis le début des années 2010, les relations entre la Suède, la Finlande et la Russie sont en constante dégradation: annexion de la Crimée en 2014, violations répétées des espaces aériens et maritimes finlandais et suédois, révisionnisme historique de la Russie à propos de la Seconde Guerre mondiale. À mesure que la menace russe s’est faite de plus en plus visible, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, la Suède et la Finlande, qui depuis la Guerre froide, ont adopté une politique de neutralité stricte, intègrent la possibilité de rejoindre l’OTAN non plus comme une option de leurs politiques étrangères, mais comme une réalité à moyen terme.

Avant l’invasion russe, ces questions faisaient déjà débat notamment lorsque que la Russie voulait fermer la politique de la « porte ouverte » de l’OTAN. Moscou mettait ainsi en garde la Stockholm et Helsinki contre une éventuelle adhésion à l’OTAN. En effet, selon les éléments de langage russe, le Kremlin considère la neutralité suédoise et finlandaise comme un facteur de stabilité et de sécurité en Europe du Nord.

Après l’invasion de russe, suite aux livraisons d’armes de ce pays à l’Ukraine et aux réaffirmations de Stockholm et d’Helsinki de pouvoir avoir le choix souverain de rejoindre l’Alliance, la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, déclarait, le 25 février, que « l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, qui est avant tout un bloc militaire, aurait de graves conséquences politico-militaires qui nécessiteraient des mesures réciproques de notre pays », ajoutant que les « efforts ciblés de l’Otan et de certains pays de l’Alliance pour y attirer la Finlande ainsi que la Suède ne restaient pas inaperçus ». Cette prise de position montre bien que le fait de disposer d’une option d’adhésion à l’OTAN, mais ne pas l’exercer, été considéré comme un moyen de dissuasion vis-à-vis de la Russie tant à Stockholm qu’à Helsinki. La Russie craint une OTAN élargie et a peut-être modéré son comportement dans la région nordique et baltique pendant un certain temps. La récente agression russe et la rationalité douteuse de Vladimir Poutine pourraient, aujourd’hui, changer fondamentalement ce paradigme.

Pour la Russie, cette mise en garde est justifiée pour deux raisons. La première est que l’adhésion suédoise inciterait la Finlande à faire de même et inversement. La seconde est qu’une pareille décision politique pourrait verrouiller totalement la mer Baltique à la Russie. L’OTAN pourrait utiliser l’île de Gotland comme d’un « porte-avions » naturel au plus près des territoires de la Russie.

Sur le plan intérieur, l’attaque de l’Ukraine a déclenché un revirement majeur des opinions publiques à propos de l’adhésion de leurs pays à l’OTAN. Dans un sondage conduit du (23 au 25 février, l’invasion russe a commencé le 24 février), 53% des Finlandais songent que leur pays devrait rejoindre l’Alliance, contre seulement 19% en 2017. Pareillement, en Suède, 41% des Suédois estiment que leur pays devrait rejoindre l’OTAN, dans un sondage publié le 25 février, contre 37% en janvier dernier.

C’est également dans ce contexte de tensions que, le 2 mars, quatre avions de combat russes, deux chasseurs Su-27 et deux bombardiers Su-24, ont pénétré dans l’espace aérien de Gotland contraignant ainsi la force aérienne suédoise à les intercepter. Cette violation, qui intervient lors d’un exercice maritime entre les forces finlandaises et suédoises, en mer Baltique, a été dénoncée comme « inacceptable » par le ministre suédois de la Défense, Peter Hultqvist (social-démocrate), et comme un « acte délibéré de provocation » dans l’espace aérien de Gotland selon le général Carl-Jogan Edström, chef d’état-major de l’armée de l’air suédoise.

Une Alliance déjà prête à accueillir ses nouveaux membres nordiques ?

La Suède et la Finlande entretiennent d’excellentes relations avec l’Alliance tout en restant en dehors. Ils font notamment partie, depuis 2014, de l’Initiative pour l’Interopérabilité avec les Partenaires (IIP) – un groupe qui comprend également l’Ukraine et la Géorgie – représentant l’association la plus étroite qu’un pays puisse obtenir avec l’Alliance sans en être un membre. Ces deux pays, en raison de la sophistication de leurs armées, de la stabilité de leurs systèmes politiques démocratiques et de leur position géographique en mer Baltique, reliant les membres nordiques et baltes de l’OTAN font en quelque sorte partie du haut du panier de ce groupe de pays. C’est d’ailleurs ce qu’observait Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, lors du sommet exceptionnel de l’Alliance le 25 février « la Finlande et la Suède sont nos partenaires les plus proches. Nous nous entraînons ensemble. Nous opérons ensemble. Nous avons amélioré l’interopérabilité des forces pour pouvoir opérer ensemble, même si la Finlande et la Suède ne sont pas membres de l’OTAN. »

L’évolution rapide des événements sur le terrain en Ukraine et dans la relation entre la Russie et l’Europe dicteront probablement, si, et dans quels cas, la Suède et la Finlande postuleront à l’OTAN. À ce sujet, Jens Stoltenberg a assuré que « si la Finlande et la Suède décident de postuler […] il est possible de prendre une décision pour eux de se joindre rapidement […] quand on voit le niveau élevé d’interopérabilité entre l’OTAN et la Finlande et la Suède, quand on voit dans quelle mesure elles répondent toutes aux normes de l’OTAN, il devrait être possible de permettre les intégrer assez rapidement dans notre alliance. »

Accélérer l’adhésion de la Finlande et la Suède à l’OTAN est une entreprise diplomatique complexe étant donné que Secrétaire général doit obtenir le consensus des trente alliés. Mais ces deux pays possèdent déjà une longueur d’avance. Sur le plan militaire, ils participent déjà à des exercices majeurs de l’OTAN, contribuent à sa Force de réaction rapide et, depuis le commencement de l’invasion russe, se voient confier des informations sur la guerre en cours. Il semble peu probable que l’un des deux pays fasse un pas vers l’OTAN dans les prochains jours, sauf en cas de force majeure. Néanmoins, les délibérations nationales sur l’adhésion, dans le contexte des élections générales, (pour la Suède en septembre 2022, pour la Finlande en avril 2023) seront inévitables et apporteront peut-être une réponse.

En Master « Expertise des conflits armés » à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Ronan Corcoran s’intéresse aux questions sécuritaires en Europe du Nord et en Europe orientale. À ce titre, il a travaillé pour les ambassades de France en Lettonie et en Pologne ainsi qu’à l’État-major des armées. @R_Corcoran