Lundi dernier, l’ancien premier ministre russe, Dimitry Medvedev a posté une lettre sur Télégram dans laquelle il accuse la Pologne de « russophobie » et il s’en est pris à la décision du Premier ministre polonais de diversifier les importations de pétrole et de gaz. Comment interpréter ce texte ? S’agit-il d’une mise en garde de la Russie à la Pologne ?
L’ancien Président Dimitri Medvedev est aujourd’hui vice-président du Conseil de sécurité de la Russie. Dans son message Telegram il s’est dit convaincu que les Polonais « comprendront tôt ou tard que la haine envers la Russie ne favorise pas la cohésion sociale, le bien-être ou la paix ». Il a également pointé du doigt le rôle la classe politique de Varsovie, déplorant dans le même message que « les intérêts des citoyens polonais sont sacrifiés pour la russophobie par ces politiciens sans talent et leurs marionnettistes venus de l’autre côté de l’océan avec des signes clairs de sénilité »
Que revêtent ces critiques ? D’après Medvedev, le choix de la Pologne de se priver du gaz, du pétrole et du charbon russe ont un impact direct pour l’économie polonaise. C’est également l’idée selon laquelle imposer des sanctions fait du mal au pays concerné, mais également au pays qui prend les sanctions.
On se souvient qu’en octobre dernier, Medvedev avait posté une lettre très virulente à l’égard de l’Ukraine sur Kommersant que la lettre concernant la Pologne n’est pas sans rappeler. Faut-il interpréter cette lettre comme le signe d’une hostilité similaire vis-à-vis de la Pologne (avec les conséquences que l’on connaît) ?
Il est présent à l’esprit de l’ancien Président que la Pologne et les pays Baltes ont plus que d’autres pays d’Europe centrale une attitude hostile à la Russie, pour des raisons historiques. Ce niveau d’hostilité ne se retrouve pas en République tchèque, en Bulgarie ou en Hongrie, quand bien même ces Etats ont également des griefs historiques vivaces.
Faisons un exercice de pensée : si vraiment la Russie voulait se lancer dans une offensive contre la Pologne, quelles troupes pourrait-elle mettre à disposition ? Quelles armes lui permettraient de faire la différence ? Quel narratif pourrait justifier auprès de la population une telle attaque ? Quel serait alors le rôle de la Biélorussie ? On peut douter du sérieux de ce scénario. Cela traduit surtout une forme d’inquiétude par rapport aux conséquences de la guerre en Ukraine, et à l’idée que la Russie a changé ses règles d’engagement à l’occasion de cette guerre. La question reste de savoir quel ordre, ou architecture de sécurité européenne, pourra émerger pour mettre fin à ce chaos.
Il y a un mois, Le Premier ministre polonais indiquait redouter une attaque russe sur la Pologne. Ce texte est-il de nature à renforcer les craintes du pays ?
Il y a de la part du Premier ministre polonais une volonté de s’attirer un soutien très large de la part des États-Unis et de ses alliés européens. Le gouvernement au pouvoir à Varsovie et connu pour sa capacité à jouer la fibre nationale, dans la manière de s’opposer à la Russie, mais également dans sa manière de s’opposer aux institutions européennes quand il s’agissait de questions liées à l’Etat de droit en Pologne. Le PiS a également été souvent critique vis-à-vis de l’Allemagne, par exemple à l’occasion de la réalisation du gazoduc Nord Stream 2.
Toutefois, il ne semble pas raisonnable de penser que l’on peut aller directement d’un texte dans la presse à une offensive militaire. La Pologne, en tant que membre de l’OTAN depuis 1999, et aujourd’hui protéger pour faire face à une éventuelle offensive de la Russie. Le plus probable et toutefois que l’on en reste à des déclarations d’hostilité bilatérales.
En mettant la pression sur la Pologne, Moscou réaffirme-t-il son besoin de bousculer tous les régimes politiques alternatifs à sa porte ? Pourquoi la Pologne est-elle un danger pour elle ?
La politique de « dérussification » de l’économie promue par le Premier ministre polonais vise à assécher l’économie russe afin de la contraindre à un cessez-le-feu. Dans ce cas de figure, il faut se demander quelle sera la politique de la Chine, puisque cette dernière peut fournir les moyens économiques et militaires à la Russie de soutenir sa guerre en Ukraine.
Or, Medvedev précise également qu’il n’exclut pas de reprendre, à terme, des relations plus constructives avec la Pologne : « la coopération économique avec notre pays ne profitera qu’aux Polonais, les relations humaines sont irremplaçables et l’échange culturel et scientifique entre les patries de Pouchkine et Mickiewicz, Tchaïkovski et Chopin, Lomonossov et Copernic est d’une importance vitale. Et, très probablement, alors ils feront le bon choix, par eux-mêmes, sans indices ni pression des élites étrangères souffrant de démence ». Il faudra pour cela des évolutions politiques significatives en Russie et une volonté réciproque de reprendre le chemin de la coopération. En période de guerre, cela semble des vœux pieux.
Dans quelle mesure le scénario d’une invasion de la Pologne pèse-t-il sur le pays, au moins dans les mots ? Même si la Pologne est un pays de l’Otan, le scénario d’une attaque Russe est-il complètement inenvisageable ?
A ce stade, une attaque de la Russie d’un pays de l’OTAN, a fortiori de la Pologne, n’est pas envisageable sur un plan conventionnel, et ce d’autant plus que sur ce plan, la Russie semble moins forte qu’on ne l’a cru. La Pologne, renforcée de la présence de nombreux alliés, dispose d’un arsenal important et l’article 5 de la charte de l’OTAN serait déclenché. Ce scénario peut être exclu. Quant aux scénarios d’une attaque soit de la Moldavie, soit de la Géorgie, soit des deux, cela ne semble pas se diriger dans cette direction à court terme. Naturellement, les dynamiques produites par la guerre en Ukraine peuvent altérer la situation, jusqu’à rendre ces attaques possibles d’ici quelques mois.
En revanche, subsiste toutefois le risque d’une apocalypse nucléaire : les travaux de Benoît Pélopidas, notamment son ouvrage Repenser les choix nucléaires (2022), permettent d’appréhender réellement nos vulnérabilités nucléaires dans le contexte actuel. Cette fuite en avant doit être réfléchie avec que cette possibilité puisse être conjurée.