Et puisqu’on parle des ballons chinois, la France se protège-t-elle suffisamment de l’espionnage de Pékin ? (PARMENTIER – Atlantico)

1) Selon le gouvernement américain, le ballon chinois que les États-Unis ont abattu au-dessus de l’océan Atlantique transportait des équipements de haute technologie capables de collecter des signaux de communication et d’autres informations sensibles. Qu’en savons-nous exactement ?


La traversée de ce ballon symbolise, dans l’espace public, l’intensification de la rivalité entre Pékin et Washington D.C. L’annulation du voyage du Secrétaire d’Etat Antony Blinken en Chine a alimenté ce narratif, la Chine dénonçant pour sa part la « réaction excessive » des autorités américaines. Ces désaccords, de plus en plus fréquents, vont amener chacun des acteurs à exposer de plus en plus fortement les griefs à l’encontre de l’autre. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, est allé jusqu’à dire que « ces allégations font probablement partie de la guerre de l’information que les États-Unis mènent contre la Chine ».
C’est dans ce contexte que ce gouvernement américain s’interroge en ce moment même sur les raisons qui ont poussé la Chine envoyer des ballons espions à traverser ostensiblement les États-Unis. Si l’on connaît l’activité des satellites en matière d’espionnage, les ballons n’entre pas dans les outils que l’on associe classiquement à ces pratiques. D’après le New York Times, le ballon espion chinois était équipé d’une antenne destinée à localiser les appareils de communication, et était capable d’intercepter les appels passés sur ces appareils, selon des renseignements déclassifiés publiés jeudi dernier par le département d’État. L’analyse des débris du ballon devrait nous permettre d’en savoir davantage, notamment sur le fait de savoir si le ciblage concernait essentiellement l’armée, ou n’était qu’un ballon météorologique comme le prétendent les Chinois.

2) Plus inquiétant encore, il ferait partie d’un vaste programme d’espionnage ciblant plus de 40 pays sur cinq continents. Peut-on penser que la France est également visée ? Existe-il des moyens de se protéger de tels ballons ?


Selon des responsables américains, la Chine a développé un programme de ballons espions en complément de sa flotte de satellites de reconnaissance, avec pour mission de collecter des informations à travers le monde : Amérique du Nord et du Sud, Europe, Asie du Sud-Est et de l’Est. Alors que les satellites peuvent capter les images, les ballons espions saisissent les communications. Il faudrait également parler des capacités chinoises dans le cyber, également très développées, comme cela a été évoqué avec la firme Huawei ou le réseau social TikTok. En outre, il faut savoir que tous les ballons aperçus dans le monde ne sont pas exactement sur le même modèle que celui abattu au large de la Caroline du Sud la semaine dernière.
Naturellement, la France fait également partie des cibles de ce vaste programme de surveillance chinois, ce qui constitue une menace pour sa souveraineté. Pour se protéger de tels ballons espions, il faut savoir quelles signatures numériques ils ont émis pour voir s’il existe des moyens efficaces pour suivre ce type de ballon à l’avenir. L’étude des débris de ce type de ballon sera utile pour examiner la technologie, reconstruire la chaîne d’approvisionnement, découvrir qui a aidé à le construire et quels en étaient les composants importants.

3) Nos responsables politiques, notamment en France, ont-ils conscience de ces enjeux ?


D’une manière générale, les problématiques d’espionnage sont à prendre très au sérieux, particulièrement dans un pays comme la France, exposée à plusieurs types de menaces, notamment de nature terroriste. Il ne faut pas non plus négliger l’impact de la guerre en Ukraine, qui montre qu’un conflit de haute-intensité n’est pas à exclure en Europe.
Un rapport de l’IRSEM, paru l’an passé, intitulé « Les opérations d’influence chinoise » , a fait grand bruit. L’objet du rapport était de mesurer les investissements chinois en matière d’influence, sa capacité d’influence, mais montrait aussi des méthodes chinoises de plus en plus offensives. Cette évolution est notable, et doit amener à une prise de conscience, particulièrement en France.
Il y a par ailleurs un impensé de la stratégie française : ses Outre-mer. La France est extrêmement présente dans le Pacifique Sud (Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Wallis-et-Futuna), et plus largement dans la région Indopacifique. Près des deux tiers des zones économiques exclusives françaises se trouvent dans le seul Pacifique. Or, ces territoires, dans une région où la rivalité sino-américaine est puissante, sont peu protégés, faute d’un budget d’investissement suffisant dans la Marine. Une ingérence chinoise avait été crainte lors des trois référendums en Nouvelle-Calédonie, en 2018, 2020 et 2021. Naturellement, l’oubli des Outre-mer est un angle mort stratégique français auquel les responsables politiques ne s’intéressent qu’insuffisamment. La prise de conscience doit progresser à ce niveau.

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