Lundi 13 février, la présidente Moldave Maïa Sandu a accusé Moscou de préparer de « violentes attaques » au sein de son pays, rejoignant les déclarations du président ukrainien Volodymyr Zelensky. En étudiant cette actualité, l’entretien invite à repenser les contextes qui conditionnent l’émergence d’un discours
Située entre la Roumanie et l’Ukraine, la Moldavie semble faire figure de proie pour Moscou. Lundi 13 février, la présidente moldave pro-européenne a accusé publiquement les Russes de fomenter un coup d’état. Maïa Sandu a évoqué de possibles « attaques de bâtiments gouvernementaux et des prises d’otages par des saboteurs au passé militaire, camouflés en civils ». L’objectif de la Russie serait de stopper l’intégration européenne de la Moldavie. Il y a peu, l’espace aérien moldave a été temporairement fermé en raison du survol du pays par un drone non identifié.
La Moldavie, dont la région séparatiste de Transnistrie accueille un bataillon de soldats russes, pourrait-elle faire l’objet d’une invasion de la Russie ?
Qui lance l’alerte ?
Les récents propos de la présidente moldave rejoignent les déclarations du président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui dit avoir intercepté des documents faisant état d’un plan de déstabilisation de la Moldavie. Il ne faut toutefois se souvenir qu’en avril dernier, après une série d’attentats en Transnistrie, un ancien conseiller du président ukrainien, Oleksiy Arestovytch, à proposer à la présidente moldave de reprendre militairement la Transnistrie de manière à la vider de sa présence pro-russe à l’Ouest de la frontière de l’Ukraine.
« On peut se demander s’il n’y a pas derrière cette idée de la part de l’Ukraine une tentative de règlement du problème transnistrien par des voies qui ne sont pas celles que les autorités moldaves avaient retenues au mois d’avril dernier, puisque qu’elles avaient accueilli très froidement cette proposition. »
Des déclarations qui viennent verrouiller le réseau européen de solidarité à l’Ukraine
Ces accusations se tiennent à quelques jours de l’anniversaire de l’invasion russe du 24 février dernier et au moment où l’attention internationale est dans l’expectative des déclarations venant de Russie à cette occasion. C’est aussi un moment important pour l’Ukraine, l’occasion pour elle d’apprécier quels sont les relais de solidarité dont elle peut disposer au niveau européen. Il est donc très vraisemblable qu’à la volonté de faire front commun face aux velléités russes, s’ajoute l’objectif pour Volodymyr Zelenski de rappeler à l’ensemble de ses partenaires, y compris la Moldavie, que le conflit n’est pas terminé et que cette guerre ne concerne pas uniquement l’Ukraine.
Des accusations pour reprendre la main sur un calendrier politique intérieur ?
Ces déclarations de la présidente Maïa Sandu peuvent également apparaître comme une tentative de reprendre la main sur le calendrier politique moldave. Cela s’est traduit très concrètement vendredi dernier par un changement de Premier ministre où Dorin Recean a été nommé en remplacement de Natalia Gavrilita. Cela faisait plusieurs semaines que cette dernière était en difficulté, au risque de porter préjudice à l’action de l’équipe au pouvoir. La publication des intentions russes, réelles ou supposées, à l’égard de la Moldavie apparaît comme la bonne raison pour la remplacer, évitant ainsi à la présidence d’attendre les résultats des élections municipales prévues à l’automne prochain. Le nouveau Premier ministre avec un profil moins technocrate et plus compétent sur les questions sécuritaires, dispose de la confiance de Maïa Sandu. Ces déclarations ont indéniablement bousculé le temps politique moldave et fait entrer le pays dans une nouvelle séquence…
Des manifestations en Moldavie pilotées par le Kremlin ?
Lorsque dans son discours, la présidente moldave mentionne des « tentatives de déstabilisation », elle fait référence aux manifestations organisées depuis l’automne par le parti Sor, accusé d’être le parti relais du Kremlin et financé par le crime organisé. Les liens entre Ilan Sor et le Kremlin sont indéniables ; mais il est toutefois intéressant de souligner que Maïa Sandu développe la même rhétorique que Vladimir Poutine lorsqu’il dénonçait l’instrumentalisation des révolutions de couleur par les pays occidentaux, à savoir des manipulations de l’extérieur et des tentatives d’ingérence. Car toute manifestation contre le gouvernement de Maïa Sandu ne peut pas nécessairement être imputée à un téléguidage depuis Moscou. S’il y a des manifestations, cela signifie surtout qu’à 35 % d’inflation et des pouvoirs d’achat sérieusement érodés par la crise, il existe une part de contestation sociale indéniable.
« Si d’aventure, le plan pour la Russie est de renverser le gouvernement moldave et mettre un pouvoir pro-russe : quelle serait sa capacité de survie ? Cet Etat serait enclavé d’une part entre l’Ukraine hostile à cette nouvelle entité pro-russe et la Roumanie, membre de l’OTAN. L’objectif, n’est-il pas plutôt d’installer une forme d’instabilité au sein des institutions moldaves et de la faire dérailler de son cours européen, plus qu’une intervention militaire en tant que tel ? »
Ces accusations permettent également à la présidente de se placer en défenseuse de la lutte anti-corruption. Associer la Russie et la corruption, est une manière de fédérer une opinion publique épuisée qui a porté Maïa Sandu au pouvoir au nom de cette même lutte, et pour se débarrasser de ce mal qui ronge le pays depuis plusieurs décennies.
L’émission peut être écoutée ici.