11 août 2015 – Christina VENARD (@ChristinaVnrd)
Revendications territoriales dans l’Arctique / Source : Université de Laval
Le 4 août dernier, la Fédération de Russie a déposé, auprès des Nations Unies, une requête pour revendiquer près de 1,2 million de km2 dans l’Arctique (1). Cette démarche témoigne à nouveau du projet de Moscou d’accroître son influence dans la région, notamment sur la base d’une reconnaissance juridique internationale.
Comme nous l’avons plusieurs fois souligné sur ce site (cf. papiers des 2 et 16 juin 2015 et papiers en préparation pour le mois de septembre), il s’agit là non seulement d’une stratégie de longue haleine pour la Russie mais également d’un défi de long terme pour ses partenaires (et ses rivaux) dans la région.
L’étape franchie le 4 août 2015 constitue un nouveau signe : Moscou pourrait bel et bien imprimer son rythme à la région.
Une stratégie de long terme
La requête russe est principalement relative aux dorsales de Lomonossov et de Mendeleiev. Elle concerne une superficie près de 2 fois supérieure à celle du territoire français (2).
Cette démarche au près de l’ONU est loin d’être inédite.
En effet, en décembre 2001, Moscou avait transmis une demande similaire à l’institution compétente en la matière, la Commission des Limites du Plateau Continental des Nations Unies (3). L’initiative russe s’était alors traduite par la demande, de la part de la Commission, d’approfondissement des preuves pour appuyer ces revendications territoriales.
Finalement, après plusieurs expéditions scientifiques majeures, tant par les moyens déployés que par la communication autour de celles-ci, à l’instar de l’expédition Arktika de 2007, les autorités russes estiment être, à présent, en mesure, au vu des éléments et des arguments présentés le 4 août dernier, de justifier leur droit sur les ressources situées au sein des territoires revendiqués.
La démarche réalisée le 4 août n’est que la continuation d’une démarche engagée depuis plus d’une décennie.
« Le droit est le souverain du monde » (Mirabeau)
La requête de Moscou s’inscrit dans un contexte quelque peu troublé, notamment du fait de la crise ukrainienne. Elle n’en reste pas moins juridiquement recevable, conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ou Convention de Montego Bay de 1982. En effet, celle-ci met en avant la possibilité pour un Etat côtier d’accroître sa juridiction, sur son plateau continental, au-delà des 200 miles nautiques définis dans le cadre d’une zone économique exclusive ou ZEE (5). Dans cette perspective et dans l’hypothèse d’une approbation des revendications russes par la Commission des Limites du Plateau Continental des Nations Unies, les ambitions de Moscou en Arctique se trouveraient, en partie, légitimées sur la base d’une reconnaissance par le droit.
Cette configuration est difficilement acceptable inconcevable pour les autres Etats riverains, à l’instar du Danemark ou encore du Canada, qui se livrent à une compétition poussée en matière d’expansion territoriale (cf. papiers à venir sur ce site).
Des enjeux économiques colossaux
Au-delà des considérations purement géographiques, la demande de la Russie est évidemment liée à l’acquisition de nouvelles ressources à exploiter, la richesse des sous-sols de l’Arctique n’étant plus à démontrer. Selon certaines estimations, à la clé de la requête russe auprès des Nations Unies, l’accès à d’importantes ressources, notamment en hydrocarbures, pour un total évalué à près de 4.9 milliards de tonnes (6). Un potentiel qui permettrait à Moscou d’affirmer considérablement son statut de puissance énergétique sur la scène internationale.
Déployant une stratégie juridique et des efforts militaires de long terme (cf. papier à venir sur ce site), la Russie essaie de donner le ton dans la région.
Références
- (1) Le Monde – La Russie revendique officiellement 1.2 million de kilomètres carrés dans l’océan Arctique, 4 août 2015: http://www.lemonde.fr/international/article/2015/08/04/la-russie-revendique-officiellement-1-2-million-de-kilometres-carres-dans-l-ocean-arctique_4711567_3210.html#xtor=AL-32280270
- (2) Le Figaro – L’Arctique ce “nouveau Far West”, 7 août 2015: http://www.lemonde.fr/international/article/2015/08/04/la-russie-revendique-officiellement-1-2-million-de-kilometres-carres-dans-l-ocean-arctique_4711567_3210.html#xtor=AL-32280270
- (3) En décembre 2001, elle (la Russie) a présenté une demande officielle d’extension de son plateau continental auprès de la Commission des Limites du Plateau Continental des Nations Unies, au-delà des 200 miles nautiques en y incluant les dorsales de Lomonossov et de Mendeleiev in L’Arctique, objectif stratégique de la Russie, EurAsiaProspective, 16 juin 2015: https://eurasiaprospective.wordpress.com/2015/06/22/larctique-objectif-strategique-de-la-russie
- (4) La convention des Nations unies sur le droit de la mer permet en effet à un Etat côtier d’étendre sa juridiction sur le plateau continental – c’est-à-dire le prolongement des terres sous la surface de la mer – au-delà des 200milles nautiques (370 km) de sa zone économique exclusive. A condition toutefois d’apporter la démonstration devant une commission internationale que ce secteur se situe dans la continuité de son territoire terrestre in La Russie revendique officiellement 1.2 million de kilomètres carrés dans l’océan Arctique, Le Monde, 4 août 2015: http://www.lemonde.fr/international/article/2015/08/04/la-russie-revendique-officiellement-1-2-million-de-kilometres-carres-dans-l-ocean-arctique_4711567_3210.html#xtor=AL-32280270
- (6) Les Echos – La Russie repart à la conquête d’une partie de l’Arctique, 4 août 2015: http://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/021244776835-la-russie-repart-a-la-conquete-dune-partie-de-larctique-1142134.php#