Cyrille BRET – 22 novembre 2015
Le Président Hollande se rend le jeudi 26 novembre à Moscou pour rencontrer le président Poutine et essayer de former un front uni contre Daech en Syrie, malgré les tensions entre la Russie, l’OTAN, Ankara et Washington.
Frappées toutes deux par le terrorisme durant ces dernières semaines, la France et la Russie sont-elles capables d’agir ensemble ? Plus largement, sont-elles capable de faire taire les rivalités entre coalitions sur place ?
S’il est tactiquement nécessaire, le rapprochement franco-russe en Syrie rencontrera à terme trois limites qui empêcheront une véritable convergence stratégique : des divergences importantes dans la conduite des opérations, des incompatibilités entre leurs réseaux d’alliances respectifs au Moyen-Orient et les sanctions issues de la crise ukrainienne.
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Les présidents français et russes se rencontreront le 26 novembre prochain pour jeter les bases d’un front uni. Sans attendre, les chefs d’état-major des deux pays ont hier préparé les conditions d’une coopération militaire. En seulement une dizaine de jours, l’amitié franco-russe est passée du statut de cause perdue à celui d’axe stratégique. Les deux Etat sont-ils capables de sceller une véritable alliance ? Pas si sûr. Pas si vite.
Les frappes aériennes coordonnées sur Raqqa et la convergence des groupes navals français et russe en Méditerranée jetteraient les bases d’une coalition unique en Syrie. Les deux pays viennent d’être frappés par le même fléau, le terrorisme de masse, dans le Sinaï et à Paris. Et ils ont les capacités militaires et diplomatiques de mettre fin à la compétition entre coalitions en Syrie et de traiter certaines causes des crises migratoires.
Certains entrevoient là un pivot stratégique. En France, de plus en plus de responsables politiques promeuvent un rapprochement avec la Russie : pour les uns, il s’agit d’un mal nécessaire dicté par les attentats du 13 novembre ; pour les autres, il s’agit d’une réorientation de l’action extérieure de la France plus autonome de l’OTAN.
La force des menaces terroristes et l’ampleur des défis migratoires, tout aplanirait les différends récents entre la France et la Russie : cycle de sanctions européennes et de contre-sanctions russes, annulation des contrats sur les deux BPC Mistral, etc. Les relations franco-russes retrouveraient en Syrie leur centre de gravité historique, trouvé en 1901 contre la Prusse et prolongé par le général De Gaulle durant la Guerre Froide : une alliance entre Etats complémentaires et soudés par des intérêts stratégiques communs.
Toutefois, ce rapprochement tactique risque de tourner à la désillusion. Sur trois points au moins.
Dans la conduire des opérations d’abord : l’interopérabilité des systèmes de défense français et russe est loin d’être évidente : la Russie n’a pas adopté les standards OTAN nécessaires aux coalitions internationales. La tolérance aux pertes civiles est bien différence à Paris et à Moscou. Et les cibles prioritaires ne sont pas les mêmes : Daech pour la France, les autres mouvements anti-al-Assad pour la Russie.
Dans la sortie de crise ensuite : pour Paris, la crise syrienne découle d’une guerre civile résultant des révolutions du printemps arabes qu’un changement de régime et une transition démocratique pourront seuls résoudre. Pour Moscou, elle résulte d’une insurrection orchestrée par les puissances sunnites via des mouvements djihadistes. En conséquence, seul le maintien d’un pouvoir alaouite pro-russe et pro-chiite est acceptable.
Dans les réseaux d’alliance enfin : dans la région, la Russie veut profiter de la résurgence de l’Iran comme acteur régional ; la France, elle, anime un réseau d’alliances sunnites cimentées par la peur de l’axe chiite. Sur la scène internationale, l’Ukraine est une pomme de discorde qui ne peut pas passer au second plan durablement. Moscou cherche à installer un « conflit gelé » dans le Donbass afin d’affaiblir durablement le gouvernement ukrainien et empêcher une extension de l’OTAN et de l’UE à ses frontières ; en revanche, Paris tient à bout de bras le gouvernement de Kiev. Il en va de la cohésion avec la Pologne et les Etats baltes. L’axe Paris-Moscou sera éclipsé par le Triangle de Weimar (Paris-Berlin-Varsovie).
Si ces ambiguïtés perdurent, le front franco-russe risque fort d’être un simple trompe-l’œil.