
EAP : Donald TRUMP veut placer l’Amérique, ses intérêts et sa sécurité au premier rang. « America First! » est son slogan. Revient-il à l’isolationnisme républicain classique après le « wilsonisme botté » des néo-conservateurs de l’administration Bush? Cela signifie-t-il que les Etats-Unis se rencentreront sur leurs problèmes intérieurs et se désintéresseront de la politique internationale?Guillaume LAGANE : Oui, même s’il est resté assez vague, le propos de Donald Trump s’inscrit dans une tradition ancienne du parti républicain, qui est le retrait des affaires du monde. Après 1918, les administrations de Harding ou Coolidge ont refusé de défendre le traité de Versailles, négocié par Wilson, mais non ratifié par le Congrès américain. Et cet isolationnisme a perduré durant toutes les années 1920. Plus récemment, il ne faut pas oublier que GW Bush, lors de sa première campagne présidentielle, a été élu sur une plateforme critique de l’interventionnisme clintonien. Elu du Texas, il voulait faire du Mexique sa priorité. Et lors d’une interview célèbre, il s’était montré incapable de retrouver le nom du président pakistanais, Pervez Musharraf (qu’il appelait « le général »). Le 11 septembre a changé tout cela. C’est dire qu’il ne faut pas confondre les propos d’estrade et l’exercice du pouvoir.
Même s’il demeure peu précis, le discours de Trump est d’ailleurs, pour une fois, assez bien construit. Certes, il plaide, bizarrement, pour un rapprochement avec la Chine et la Russie. Mais le président Bush lui aussi affirmait, en 2001, lire « l’âme » de Vladimir Poutine. Cela ne l’a pas empêché de soutenir les révolutions de couleur dans l’espace post-soviétique. De même, Trump critique le bilan de l’administration Obama, jugé fragile et confus. Mais a-t-il complètement tort ? Je retiens plutôt sa volonté de rendre les Etats-Unis « imprévisibles », c’est-à-dire menaçants, dans leurs interventions militaires, ce qui trancherait avec l’impression de faiblesse produite aujourd’hui par Obama. On peut également noter que son discours a été introduit par Zalmay Khalilzad, qui fut ambassadeur en Afghanistan et en Irak sous la présidence Bush, et qui appartient au camp néoconservateur.
Guillaume LAGANE : On a plaisamment dit de Trump que le catalogue de ce qu’il ignorait pouvait constituer un livre, et qu’il s’agissait d’une encyclopédie ! Ses adversaires ont, avec raison, rappelé que, contrairement à ses propos de campagne, les alliés des Etats-Unis contribuaient au financement du parapluie américain. Le Japon, qui paye 70% du stationnement des forces américaines dans l’archipel, a ainsi financé le déploiement des troupes américaines au Koweït en 1991. Il s’agit donc bien d’une « two-way street » comme le demande Trump. Dans le cas du Japon, la limitation de son effort de défense (à 1% du PIB depuis 1976) est aussi un effet de sa rupture avec le passé militariste, rupture encouragée par l’occupant américain après 1945. Je ne crois donc pas que les positions de Trump en la matière iront au-delà de vagues propos de campagne.
S’agissant de l’Europe et de l’OTAN, il est possible que la position de Trump soit davantage suivie d’effets. Il est peu probable qu’il revienne sur le mouvement de pivot vers l’Asie imprimé par Obama aux forces américaines. Il sera donc fondé à demander aux Européens de cesser de jouer aux « passagers clandestins » en profitant de la protection américaine sans payer pour cela (les Etats-Unis consacrent presque 4% de leur PIB à la défense, alors que seuls cinq pays de l’OTAN sur 28 atteignent le niveau de 2% souhaité par l’Alliance). Par la force des choses, vu la situation du Moyen-Orient et le revanchisme russe, l’Europe pourrait donc être contrainte d’augmenter son effort de défense. Trump viendrait ainsi, paradoxalement, au secours des pays, tel la France, dont c’est depuis deux décennies le leitmotiv !

Florent PARMENTIER : Barack Obama s’était effectivement fixé pour objectif de réorienter la politique étrangère américaine vers l’Asie, suivant la géographie des échanges ainsi que l’émergence de la puissance chinoise, cette dernière étant bien plus menaçante à terme pour l’hégémonie américaine que la Russie.Pour l’analyse, il convient de distinguer les bravades et les provocations du candidat d’une part, et les actions contraintes d’un candidat en exercice d’autre part. Selon l’impétrant, Washington n’a pas réellement besoin de l’OTAN pour assurer leur propre sécurité, et sont considérés comme un coût par le candidat ; 78% des fonds et des troupes proviennent des Etats-Unis. Cette assertion ne manque évidemment pas d’inquiéter en Pologne, où le Ministre des affaires étrangères a clairement fait de la Russie plutôt que Daech l’ennemi public numéro 1. Une présidence Trump serait probablement très mal accueillie par le gouvernement conservateur du PiS, mais pas forcément dans la Hongrie voisine.
Dans le même temps, Donald Trump a fait part de sa volonté de se rapprocher de la Russie, prenant même le contre-pied de l’opinion dominante chez les Sénateurs américains à propos de Vladimir Poutine. Pourtant, il reste à voir si ce positionnement en campagne résistera à l’épreuve du pouvoir ; il est possible qu’à défaut de déboucher sur un réel rapprochement, il subsiste un espoir de dialogue réel entre les deux pays, entre les deux leaders. Cependant, une réelle amélioration ne sera possible que s’il existe une entente minimale sur les règles du jeu en vigueur dans l’espace post-soviétique ; or, l’expertise disponible aux Etats-Unis n’est très majoritairement pas favorable à la Russie et à la compréhension de ses intérêts.

