Présidentielles en Transnistrie : la surprise Krasnosselsky. Entretien avec Florent PARMENTIER (Eurasia Prospective)

Ce dimanche 11 décembre 2016, les électeurs transnistriens étaient appelés aux urnes pour désigner leur nouveau Président. Retour sur un territoire séparatiste en marge de la Moldavie, mais à 70 kilomètres seulement de la première frontière de l’Union européenne.

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Dans quelle situation politique se trouve aujourd’hui la Transnistrie?

Florent Parmentier : la Transnistrie est une région séparatiste de l’Est de la Moldavie, d’une taille de 4163 km² pour une population d’environ un demi-million d’habitants. L’arrivée du Maréchal Souvorov en 1792 marque la montée de la puissance de la Russie dans cet espace au détriment de l’Empire ottoman : elle reste depuis un point avancée de l’influence russe, à deux pas des Balkans, des Carpates et de la région d’Odessa. Dans la foulée de la chute de l’URSS, la Moldavie connaît un court conflit en 1991-1992 : le cessez-le-feu de juillet 1992 n’a pas permis de trouver une solution négociée au conflit, qui reste non-résolu à ce jour.

Elle est considérée comme un Etat de facto : elle dispose d’un territoire, d’une population, d’une structure administrative mais n’est pas reconnue internationalement, pas même par la Russie. Elle se distingue de la Moldavie par sa monnaie, son système légal, elle dispose de ses propres institutions – et donc de ses propres institutions politiques.

Depuis un quart de siècle, la Transnistrie revendique une forme d’indépendance du reste de la Moldavie – ou émet parfois un souhait de rattachement à la Russie. La survie de la Transnistrie en tant qu’entité quasi indépendante s’est naturellement développée dans un contexte politique contraint : le pluralisme des médias y est limité, le travail des organisations de la société civile est contraint, et les hommes politiques en place savent comment utiliser au maximum les ressources administratives. Cependant, les surprises y sont possibles, comme lors des élections de 2011 : le Président Smirnov, qui était à la tête de la Transnistrie depuis 1990, a été battu dès le 1er tour. Et Evgueny Chevtchouk avait lui-même défait, à l’occasion du second tour, le candidat soutenu par Moscou, Anatoly Kaminski.

 

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Quelles sont les leçons du scrutin présidentiel du 11 décembre 2016 ?

Florent Parmentier : ces élections, qui ont vu une participation de près de 60%, ont débouché sur une surprise. Selon les premiers sondages sortis des urnes, la victoire de Vadim Krasnosselsky, Président du Parlement (le Soviet suprême), est incontestable : il obtiendrait autour de 70% des voix. Le Président sortant Evgeny Chevtchouk arriverait second, loin derrière, avec environ 18,8% des votes. Quant aux autres candidats, ils sont nettement distancés : le chef du parti communiste et député Oleg Khorjan recueille 3,3%, et les autres ont recueilli moins de 1% des voix. Particularité du vote dans les pays post-soviétiques, le vote « contre tous » a recueilli 6,4% des suffrages.

Vadim Krasnosselsky a donc su capitaliser sur les élections de novembre 2015, qui avaient vu la montée en puissance de son mouvement politique, soutenu par le groupe Sheriff (oligopole local, ancien soutien de Chevtchouk).

 

Quelles sont les conséquences prévisibles de cette élection ?

La Transnistrie doit s’adapter à une nouvelle donne régionale, faite de plusieurs dynamiques : en Ukraine, en Moldavie et au-delà.

Depuis presque trois ans, la Transnistrie observe de près ce qui se passe en Ukraine : d’abord parce qu’un pouvoir en place craint toujours une forme de soulèvement du type de celui de Maïdan. Ensuite, parce que le conflit entre la Russie et l’Ukraine tend à fragiliser les positions de la Transnistrie : une Ukraine post-Maïdan souhaite davantage conclure le conflit en Transnistrie, qui serait un moyen de réduire l’influence russe dans la région. Cela permet en plus d’ouvrir de nouveaux espaces de négociation avec l’Union européenne, présente dans la région avec la mission EUBAM, ou l’OTAN.

Les présidentielles en Moldavie de novembre portent également leur propre dynamique. Le candidat du Parti des socialistes, Igor Dodon, l’avait emporté en misant sur un rapprochement avec la Russie, et en parlant du projet de fédéralisation de la Moldavie – la Transnistrie réintégrant alors la Moldavie, moyennant un certain nombre d’aménagements et de droits spécifiques. Cependant, il faut garder en mémoire que les pouvoirs constitutionnels du Président restent plutôt limités, rendant compliquée toute avancée en la matière.

Enfin, la nouvelle donne régionale est influencée par les ambitions européennes dans la région à l’heure du Brexit, dans l’attente des élections en France et en Allemagne en 2017, ainsi que par un éventuel rapprochement russo-américain suite à la victoire de Donald Trump. Sur ce dernier sujet, les prochaines nominations aux Etats-Unis donneront probablement quelques éléments pour la suite.

Au vu de ces éléments, il faut concéder que les marges de manœuvres du nouveau Président sont étroites. La sécurité de la Transnistrie est toujours garantie par la Russie, mais aujourd’hui les acteurs économiques transnistriens exportent davantage vers l’Union européenne que vers l’espace post-soviétique. Cela incitera vraisemblablement le nouveau Président à beaucoup de prudence.