Elections en Sarre : Merkel face à l’effet Schulz (Fabien LAURENCON)

Le 26 mars 2017 s’est tenue l’élection de la diète (Landtag) de Sarre, première d’une série de trois élections partielles avant l’élection du Bundestag le 24 septembre prochain. La large victoire électorale de la CDU sarroise emmenée par AKK (AnnegretKamp-Knarrenberger) devrait donner un peu de baume au cœur de la chancelière à la peine face à l’effet Schultz. Cette dernière était d’ailleurs visiblement soulagée par ce succès qui donne un coup d’arrêt à une annus horribilis sur le plan électoral, après une série de défaites en 2016 à Hambourg, Rhénanie-Palatinat, Mecklembourg-Poméranie (Berlin étant le symbole de ce ressac de la droite chrétienne démocrate). La CDU atteint la barre symbolique des 40% (soit une progression de 5,5 % par rapport à 2012), reléguant la SPD 11 % derrière, l’espoir d’une coalition rouge-rouge est une illusion désormais, et l’effet Martin Schulz semble revenu à des altitudes beaucoup plus accessible…pour la droite allemande. Un « beau dimanche résumait » dans son laconisme la chancelière dimanche soir à la Maison Konrad-Adenauer à Berlin.

La victoire nette de la CDU s’explique par plusieurs raisons.

Premièrement, la qualité de la campagne menée par le parti démocrate-chrétien. Au premier chef la personnalité consensuelle du ministre-président sortant, Annegret Kamp-Karrenberger (AKK), très proche de la chancelière, bénéficiait d’une très forte sympathie au-delà de la CDU, a été déterminante.

Deuxièmement, les craintes face à la montée du vote populiste qui se traduit aux deux extrémités du spectre politique par un ancrage de Die Linke (7% des votes) et par une poussée de l’AfD qui franchit en effet le seuil des 5 % et comptera désormais 3 députés au Landtag. La victoire de la CDU dimanche en Sarre est un prélude possible à un phénomène plus large d’essoufflement de la formation de FraukePetry, qui reste structurellement handicapée par son absence de cadres, son maillage territorial lacunaire à l’Ouest notamment, et sa pauvreté programmatique.

Troisièmement la participation électorale accrue (+ 8% par rapport au scrutin précédent) qui a bénéficié plus au CDU qu’au SPD traduit cette aversion fondamentale des électeurs à l’égard de l’expérimentation politique qu’aurait été une coalition rouge-rouge (SPD et Die Linke). « Wir wollen keine Experimente » pouvait-on entendre le soir de l’élection, exprimant ainsi l’attachement d’une majorité de Sarrois à la stabilité rassurante de la GroKo (Grosse Koalition), en miroir de l’équilibre qui prévaut au niveau national entre les deux grands partis, et qui traduit cette prégnance de l’ordo-libéralisme politique (et économique) structurant depuis l’après-guerre.

Pour autant, cette victoire nette ne doit pas faire oublier l’usure réelle de la CDU-CSU. Le véritable test sera l’élection du Landtag de Rhénanie du Nord-Westphalie. Ce Land est le plus peuplé d’Allemagne. Creuset industriel, il est tenu par Hannelore Kraft, véritable anti-Merkel, qui rappelle certaines caractéristiques de « Mutti » … mais en version social-démocrate. Les voix se sont multipliées au sein de la CDU pour appeler à la prudence. La posture politique minimaliste de la chancelière qui a effectivement fait le service minimum durant la campagne ne suffira pas pour le marathon électoral qui s’annonce dès l’été 2017 pour les élections du Bundestag.

La chancelière aurait tort cependant d’imaginer pouvoir neutraliser le discours clivant de gauche et assumé comme tel de Martin Schulz. Le contexte politique a changé, l’adversaire également : Martin Schulz n’est ni Sigmar Gabriel dans la mesure où sa trajectoire européenne au Parlement européen, lui donne un « droit d’inventaire » sur le bilan du gouvernement de coalition t une liberté de ton unique, ni Peer Steinbrück, talentueux orateur mais rival malheureux de 2009, ni Franck-Walter Steinmüller à qui il manquait cette dimension tribunicienne que maîtrise parfaitement Schulz.

Tout l’enjeu du scrutin d septembre 2017 sera de savoir si le discours du « Weiter so », de cette continuité merkélienne rassurante qui masque au fond l’absence de souffle et d’innovation du programme social et économique de la droite allemande l’emportera sur le désir de changement incarné par Martin Schulz, et in fine sice dernier parviendra à imposer son jeu c’est-à-dire à recentrer le débat politique sur les thèmes sociaux de redistribution des fruits de la croissance, de lutte contre la pauvreté, en bref et sur les limites de la réussite économique allemande. La clé du succès éventuel de ce dernier résidera enfin dans sa capacité à proposer un pacte de coalition crédible, un partenaire plus rassurant et consensuel (les Verts ?), que l’épouvantail rouge-rouge (avec Die Linke) dont Merkel a su tactiquement jouer pour l’emporter en Sarre.

Fabien Laurençon est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et agrégé d’allemand. Après avoir été enseignant-chercheur à l’Université Paris III – Sorbonne nouvelle, puis Paris-X à Nanterre, où il a enseigné l’Histoire et la civilisation allemande contemporaines, il rejoint le ministère de la Défense au Centre des Hautes études de l’armement ; en tant qu’historien, il participe ainsi à la création du Département d’Histoire de l’armement de la DGA, contribuant notamment à la création d’un fonds documentaire sur la genèse de la DGA et l’histoire du corps des ingénieurs de l’armement. Il sera ensuite analyste en charge de la prospective et de la réflexion stratégiques pour un think tank du ministère de la Défense, travaillant notamment sur les stratégies de sortie de crise post-conflit et les pistes d’amélioration en matière de coopération civilo-militaires défense-entreprises. Il rejoint en 2011 l’industrie de défense. Il suit depuis près de vingt ans les questions de défense et de sécurité en lien avec l’Allemagne.