Les présidentielles en République tchèque ont des enjeux d’autant plus grands qu’elles ont lieu alors que la Bulgarie, l’Autriche et la Roumanie s’apprêtent à prendre successivement la présidence tournant de l’Union européenne durant les 18 prochains mois. Les tensions entre l’est et l’ouest du continent sont au centre de ces échéances, notamment en raison de la proximité affiché de Milos Zeman avec la Russie du président Poutine (cf. caricature).
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Les destinées politiques de la République tchèques ont bien souvent de forts retentissements sur la vie du continent : avec le Printemps de Prague de 1968 et la Révolution de Velours de 1989, qui avaient largement contribué à ébranler le bloc communiste, après le divorce pacifique avec la Slovaquie, l’adhésion à l’OTAN en 1999 puis à l’UE en 2004 et après la constitution du Groupe de Visegrad (V4) avec la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie (cf. photo ci-dessous), cet Etat charnière entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale, entre Europe germanique et Europe slave a infléchi le cours de la construction européenne. Sans mentionner la dissolution de l’Empire austro-hongrois et la Deuxième Guerre Mondiale. Les 26 et 27 janvier prochains, l’Europe devra à nouveau examiner ce scrutin.
L’élection présidentielle tchèque intervient dans une conjoncture où le groupe de Visegrad porte une contestation souverainiste à Bruxelles. Arc-boutés contre la politique des quotas de répartitions des migrants proposée par la présidence Juncker et adoptée en 2015 sous l’impulsion du couple franco-allemand, le groupe de Visegrad (cf. photo ci-dessous) installe l’Europe centrale et orientale dans une position ambivalente vis-à-vis de l’Europe.
D’un côté, les économies polonaises et tchèques sont intégrées dans le bassin de production allemand ; elles ont reçu des fonds structurels européens importants : selon les calculs les plus fiables, ceux de l’Institute for Fiscal Studies de Londres sur le budget 2014, net après ajustements, en Tchéquie, les transferts sont de 299 € par personne et de 376 € par personne en Pologne ; par comparaison, la contribution nette du Royaume Uni, avant le scrutin du Brexit, ne s’élevait qu’à 75 € par tête. De plus, ces économies ont des index d’ouvertures élevés : selon la Banque mondiale, l’index d’ouverture est de 100% du PIB pour la Pologne, de 152% pour la République tchèque, à comparer avec les 60% de l’économie française.
Autrement dit, leurs économies sont très dépendantes des échanges avec l’étranger. En conséquence, même les partis eurosceptiques de ces pays sont donc favorables au libre-échange à l’échelon européen. Mais, d’un autre côté, ils sont profondément hostiles non seulement à l’afflux de réfugiés mais, plus largement, à la relance de l’intégration européenne et aux élans fédéralistes macroniens.
En somme, leur euroscepticisme est bien différent de celui des Brexiters. Et c’est ce qui fait qu’ils sont en mesure de rallier à leurs positions d’autres Etats membres non issus de l’élargissement de 2014, Autriche de la coalition ÖVP-FPÖ de Kurz et Strache en tête. Les résultats de l’élection du 26 et 27 janvier prochain contribueront de façon décisive à l’évolution des rapports entre l’Europe orientale et Bruxelles : soit la candidature Zeman l’emporte et le camp souverainiste sera encore renforcé. Soit la candidature Drahos l’emporte et, comme dans le cas de la candidature Van der Bellen en Autriche, l’Europe centrale et orientale ne présentera pas un visage uniformément eurosceptique à Bruxelles. Le débat présidentiel autrichien entre Van der Bellen et Norbert Hofer (cf. photo ci-dessous) a ses limites mais synthétise les enjeux pour la République tchèque.
Dans les combats futurs sur les libertés individuelles et les fonds européens entre l’Union et Varsovie, cela sera d’un poids non négligeable.
De même, concernant les relations avec la Russie, les élections présidentielles tchèques peuvent avoir un impact assez profond. A milieu de l’année 2018, alors que la Russie sera sous l’œil du monde durant les négociations de cessez-le-feu en Syrie mais aussi durant le Mondial de football (14 juin-15 juillet), l’Union européenne aura de nouveau à arrêter une position commune concernant le processus de Minsk et les sanctions frappant la Russie suite à l’annexion de la Crimée et à la guerre dans le Donbass.
Or, depuis 2014, le président Zeman appelle régulièrement à la levée des sanctions contre la Russie et au rétablissement du partenariat avec la Russie, contre les gouvernements français, allemands et russes mais également dans la ligne de la Hongrie. Là encore l’unité de l’Europe face à un de ses défis stratégiques sera en jeu.
Les élections présidentielles tchèques contribueront à déterminer non seulement les termes de l’évolution rapide de la scène politique nationale mais également la tonalité de l’année politique en Europe. Dans la perspective des élections présidentielles finlandaises de février, des élections législatives hongroises d’avril, des élections générales en Suède et en Lettonie à l’automne, l’Union doit tourner ses regards vers son flanc oriental.