Bilan politique des JO de Pyeongchang: 3 leçons et 3 questions (BRET dans Les Echos)

Trois grandes tendances géopolitiques se sont manifestées à l’occasion des Jeux d’hiver en Corée du Sud. Et trois questions demeurent pour la suite de 2018.

Retrouvez le texte sur le site du journal Les Echos : Bilan géopolitique des JO2018

 

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Pour la géopolitique du sport, l’année 2018 est particulièrement riche. Elle a déjà tenu la première de ses trois grandes promesses aux Jeux Olympiques en Corée ; avant les Jeux du Commonwealth en Australie qui auront lieu en plein Brexit ; et avant la Coupe du Monde de football qui sera organisée par la Russie de juin à juillet quelques mois après la probable réélection de Vladimir Poutine. Les grandes compétitions sportives internationales fortement médiatisées sont en effet tout à la fois des miroirs déformants, des caisses de résonnance et des champs d’affrontement entre puissances sportives, économiques et politiques. Evénements sportifs, financiers, symboliques et même culturels, ils expriment une partie de l’esprit du temps, du Zeitgeist.

La XXIIIème édition des Jeux Olympiques d’hiver a tout eu d’un événement géopolitique majeur. Organisés du 9 au 25 février 2018, ils se sont déroulés dans petite ville de P’yŏngch’ang, à environ 80 kilomètres de la zone démilitarisée (DMZ) séparant la Corée du Nord et la Corée du Sud suite à la guerre de Corée en 1950-1953. La portée stratégique de l’événement tient non seulement au lieu, une Péninsule marquée par la guerre et l’escalade nucléaire, mais également au tempo : depuis le début de la présidence Trump au tournant de 2016, le régime de Kim Jon-un a donné un nouvel élan à la course aux armements, déjà fort active dans la région. Il a perfectionné la militarisation de ses têtes nucléaires grâce à une série de tests. Et il étend de plus en plus le rayon d’action de ses missiles menaçant le Japon et même le territoire des Etats-Unis.

Par-delà les exploits sportifs eux-mêmes, trois grandes tendances géopolitiques se sont manifestées à l’occasion de ces Jeux. Et trois questions demeurent pour la suite de 2018.

1.     Vers une trêve olympique durable dans la Péninsule coréenne ?

La première tendance concerne l’apaisement en matière de sécurité sur la Péninsule coréenne. Loin d’un apolitisme olympique toujours rappelé mais sans cesse écorné, les JO de P’yŏngch’ang ont mis en évidence des symboles de paix entre la République populaire démocratique de Corée (Nord) et la République de Corée (Sud) : la Corée du Sud a accueilli sur son sol non seulement des sportifs nord-coréens mais également des artistes et des officiels du Nord ; elle a accepté de constituer une équipe féminine de hockey intercoréenne ; elle a mis en évidence la poignée de main entre le président sudiste Moon et la sœur du leader nordiste, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux ; et elle a fait se côtoyer, à la tribune présidentielle de la cérémonie de clôture des Jeux, la fille du président Trump et le général nordiste Kim Yong-Chol. Les relations intercoréennes ont connu un réel réchauffement au-delà des traditionnelles rencontres entre familles séparées.

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Toute la question est désormais de savoir si la trêve olympique entre les deux Corée conduira à une nouvelle « politique du rayon de soleil » selon le slogan du président sudiste Kim Dae-jung durant les années 2000 en faveur d’un rapprochement intercoréen. Les Jeux seront-ils une parenthèse intercoréenne rapidement refermée par les enjeux plus large de l’affirmation de la puissance chinoise et de la politique trumpienne en Asie du Nord ? Ou bien lanceront-ils une dynamique pacifique de long terme tout comme les Jeux de Séoul en 1988 avaient favorisé la démocratisation de la République de Corée ?

2.     Etats-Unis : la perplexité de la puissance

Les Jeux ont incarné une inflexion de la donne stratégique par-delà les seules relations intercoréennes. C’est la deuxième tendance de ces Jeux : les relations entre les Etats-Unis et les deux Corée ont évolué.

D’une part, les Etats-Unis ont accepté de reporter leurs exercices militaires conjoints en Mer de Corée, ce qui était un facteur irritant pour le Nord et une demande du Sud. Mais, d’autre part, ils ont adoptés de nouvelles sanctions contre lui pendant la compétition. La Corée du Nord elle-même a appelé à une reprise des discussions entre Pyongyang et Washington. La compétition a illustré à la fois la force des Etats-Unis et les limites de l’intransigeance manifestée par le Vice-Président Pence refusant de serrer la main aux dignitaires nord-coréens à la cérémonie d’ouverture. Ce que ces Jeux ont illustré, c’est aussi la perplexité des Etats-Unis face au relatif réchauffement intercoréen.

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Les Etats-Unis peuvent-ils utiliser cette désescalade entre les deux Corées pour trouver une issue ? Ou bien essaieront-ils au contraire de miner le rapprochement intercoréen pour garder sur place un allié intransigeant ?

3.     Russie : de l’humiliation à la revanche ?

La troisième tendance géopolitique à l’œuvre dans ces Jeux concerne la place de la Fédération de Russie dans les relations internationales. Le mouvement olympique et le softpower sportif de Russie ont abordé les Jeux dans une position qu’ils ont ressentie comme humiliante. Suite à plusieurs rapports au CIO pointant l’existence d’un dopage d’Etat aux Jeux Olympiques de Sotchi, en 2014, le comité exécutif du CIO a suspendu le comité national olympique russe durant la durée des Jeux pour le rétablir dans ses droits à l’issue de la compétition. Les conséquences sportives et symboliques ont gravement nuit au prestige du sport de haut niveau de Russie : plusieurs dizaines d’athlètes russes n’ont pas été admis à participer aux compétitions ; le drapeau et l’hymne russes ont été remplacés, lors des cérémonies notamment des remises de médaille, par les symboles olympiques ; les « athlètes olympiques de Russie » (nom donné à la délégation russe) ont de plus obtenu seulement 17 médailles en se classant à la 13ème position au classement général par pays. Le contraste est fort avec la première place aux Jeux de Sotchi en 2014.

Pour la Russie, toute la question est désormais de savoir si elle veut faire de la Coupe du Monde de football une revanche destinée à laver l’humiliation des Jeux ou bien si elle veut désormais infléchir l’image internationale de son sport de haut niveau en souscrivant aux programmes anti-dopage ? Entre revanche et exemplarité, c’est la question qui se pose aujourd’hui au softpower russe.

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