Elections 2019 en Estonie: des législatives aux européennes (Alice WAITS pour Eurasia Prospective)

L’Estonie est à quelques mois d’échéances électorales essentielles : les élections législatives en mars et les élections européennes en mai. Pour saisir les enjeux de ces élections dans l’Etat balte le plus proche de la Finlande, Alice WAITS, spécialiste de la zone, répond aux questions d’Eurasia Prospective.

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EAP : quelles sont les forces en présence en Estonie pour les élections européennes de mai 2019 ? Et quels sont leurs points de désaccord ?

Alice WAITS : Les forces en présence s’organisent actuellement en vue des élections législatives du 3 mars 2019 et non en vue des élections européennes de mai. Il est vraisemblable que le résultat du scrutin de mars aura une incidence sur l’organisation des forces pour les élections européennes.

Actuellement, la scène politique estonienne se présente comme suit : trois partis forment l’actuelle coalition gouvernementale. Selon les derniers sondages, le Parti du centre (centre gauche) serait crédité de 27,5 % des voix pour les législatives de mars, le Parti social-démocrate de 13 % et Isamaa (conservateur nationaliste) de 5 %. Dans l’opposition, le Parti de la réforme (libéral) est crédité de 28 % des voix etle Parti populaire conservateur d’Estonie (EKRE, extrême-droite) de 16,5 %.

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Tant le Parti du centre que le Parti de la réforme sont des formations centristes (un peu plus préoccupée par les questions sociales pour la première) et résolument européennes. De ce spectre politique, seul EKRE apparaît eurosceptique, voire europhobe (cf. logo ci-dessous). Or, au cours des derniers mois, on a constaté une hausse sensible de sa popularité.

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Ce tableau doit toutefois être nuancé, en tenant compte notamment de deux éléments : d’une part, l’apparition d’un nouveau parti qui fait de plus en plus parler de lui, Eesti 200 ; le mouvement lancé au printemps 2018 s’est transformé en parti début novembre. Ses positions ne s’éloignent pas fondamentalement de celles des partis centristes estoniens mais, en présentant des personnalités nouvelles, il pourrait prendre des voix aux formations traditionnelles.

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D’autre part, une crise politique est intervenue à l’occasion des débats sur le Pacte de l’ONU sur les migrations. Ils ont révélé une véritable fracture entre les partis. Se sont opposés à l’adoption de ce Pacte par l’Estonie les partis Isamaa, EKRE et, a priori, de la Réforme (même si ce dernier s’est abstenu lors du vote intervenu au Parlement le 26 novembre 2018). La posture extrémiste d’EKRE lors de ces débats pourrait lui faire perdre des voix au profit d’Isamaa, également opposé au Pacte donc mais qui a usé d’arguments plus modérés et donc plus audibles.

EAP : quel est l’impact des élections européennes sur la scène et le calendrier politique interne de l’Estonie ?

Alice WAITS : Pour le moment, les élections européennes ne sont pas prioritaires sur l’agenda politique estonien. Et ce, même si les Estoniens sont, en Europe, parmi les plus euro-enthousiastes (77 % de satisfaction).

Actuellement, les débats sont focalisés sur la crise politique qui a éclaté à l’occasion de l’engagement du pays sur le Pacte de l’ONU sur les migrations. Au nombre des arguments avancés par les défenseurs du Pacte, il faut d’ailleurs citer la peur de voir une Estonie qui refuserait ce texte prenant alors le risque d’être perçue comme relevant de l’Europe « illibérale », aux côtés de pays comme la Hongrie ou la Pologne.

À l’occasion des élections européennes plus que des élections législatives, le pays craint d’être la cible de cyberattaques et d’actions de désinformation. Cette préoccupation revient fréquemment dans les discours politiques, révélant la perception estonienne d’une menace russe prégnante.

EAP : quelle est la stratégie de l’Estonie pour la prochaine mandature et la prochaine Commission ? Quelles sont les priorités? 

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Alice WAITS : Actuellement, 6 députés estoniens siègent au Parlement européen : deux sont membres du Parti de la réforme (ALDE), une du Parti du centre (ALDE), un du Parti social-démocrate (S&D), un d’Isamaa (PPE) et un du Parti vert (groupe des Verts).

À l’issue des élections du 26 mai 2019, les prévisions font état de, peut-être, trois députés du Parti du centre, deux du Parti de la réforme, un du Parti conservateur EKRE (pas d’affiliation connue encore) et un du Parti social-démocrate.

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Les priorités européennes de l’Estonie telles que formulées à tout le moins par le Premier ministre actuel (Jüri Ratas, Parti du centre – photo) mettent en avant la nécessaire unité d’une UE mobilisée autour d’un agenda positif.

Attentive aux négociations portant sur le prochain Cadre financier pluriannuel, l’Estonie aura à cœur de défendre un CFP ambitieux au regard des défis tels que le changement climatique, la fonction redistributive de la fiscalité, la sécurité ou l’éducation et l’innovation dans le sillage de sa présidence de 2017. D’abord réticente à un budget commun de l’UE, les autorités actuelles semblent évoluer sur cette question et se disent prêtes à discuter de ce projet, dans le cadre du prochain CFP. En matière de défense, l’Estonie reste très atlantiste et, sans rejeter les nouvelles initiatives européennes (Tallinn adhère à la Coopération structurée permanente, soutient le lancement du Fonds européen de défense et a intégré l’Initiative européenne d’intervention), tient à ce que l’OTAN reste aux fondements de la défense collective en Europe.

Les électeurs estoniens, eux, perçoivent l’Union européenne avant tout comme une source de croissance économique et de bien-être. Selon les derniers sondages, ils placeraient la protection de l’environnement en première place de leurs préoccupations en vue des élections européennes. Un autre sujet entré dans le débat public cette année concerne la supervision bancaire dans un cadre communautaire afin d’accroître l’efficacité de la gouvernance européenne dans les affaires de blanchiment d’argent, notamment par le biais de l’amélioration de la supervision et de l’échange d’informations ; l’Estonie été ébranlée en 2018 par l’affaire de la branche locale de la Danske Bank qui, entre 2007 et 2015, aurait permis le blanchiment de près de 200 milliards d’euros. Enfin, la crise politique récente vient de faire entrer également dans le débat public le thème des migrations.

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