Européennes 2019 en Bulgarie: les Bulgares et l’Europe (Stephan ALTASSERRE pour Eurasia Prospective)

Dans la perspective des élections européennes de mai 2019, Stéphane ALTASSERRE répond aux question d’ EurAsia Prospective concernant les relations entre la population du pays et l’Union européenne.

EAP : la jeunesse bulgare se sent-elle européenne ?

Stéphane Altasserre : la majorité de la jeunesse bulgare résidant actuellement en Bulgarie se sent avant tout bulgare. Cela concerne principalement les populations d’origine slave, car une grande partie des Turcs bulgares regardent régulièrement vers Istanbul (ou Ankara). En outre, de nombreux membres de la minorité tsigane se sentent avant tout Roms ; un sentiment qui s’est accru à la suite de la chute du régime socialiste, des crises de transition post-socialistes, cette partie de la population ayant été rapidement laissée de côté.

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En revanche, si on se recentre sur les seules jeunes élites estudiantines, celles qui ont fait et réussi leurs études universitaires, le développement d’un fort sentiment europhile est une réalité. Certains individus, polyglottes et/ou grands adeptes des réseaux sociaux, ont même parfois l’impression qu’ils sont plus européens que bulgares. C’est notamment le cas de ceux qui sont partis étudier plusieurs années à l’étranger, sur le vieux continent, et qui se sont installés durablement ou de manière permanente dans un autre pays européen, qu’ils finissent quelquefois par reconnaitre comme le leur. En ce sens, une forme de « transnationalité européenne » est à l’œuvre auprès de ces jeunes gens très instruits et qu’elle est de nature à générer un fort sentiment d’appartenance à l’Europe ; ceci est valable pour la jeunesse bulgare comme pour d’autres Européens.

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EAP : se considère-t-elle comme une « génération Erasmus »?

Stéphane Altasserre : concernant les Bulgares, le programme ERASMUS a certes participé au développement d’un sentiment europhile, mais bien moins que l’attraction économique ouest-européenne, qui est principalement à l’origine du départ de plus d’un million de Bulgares depuis le début des années 1990. Beaucoup de jeunes gens, surtout ceux issus des contrées rurales, viennent pour travailler à l’étranger (construction, agriculture, services…) et non pour étudier : aussi, le terme de « génération ERASMUS » ne parait pas leur convenir. Et cette remarque s’applique également aux jeunes migrants issus des minorités nationales bulgares.

EAP : la partie de la population qui a connu le régime communiste en Bulgarie a-t-elle un rapport apaisé à l’UE ?

Parmi les plus de trente ans, tout dépend de la génération concernée (des jeunes adultes actifs au troisième âge) et s’il s’agit de Bulgares vivant dans ou hors de Bulgarie. Même si des distinctions doivent être opérées, l’adhésion (à l’UE) ayant été globalement profitable à la Bulgarie, surtout depuis la fin de la période transitoire en 2014, une partie importante de la société civile se montre favorable à l’UE, consciente de l’intérêt et de l’opportunité qu’elle a représentées pour la Bulgarie contemporaine. Bien sûr, les laissés pour compte, notamment les retraités (en moyenne 350 euros mensuels) et certaines franges paupérisées de la population, notamment en zone rurale, ont une autre vision plus contestataire à l’égard de Bruxelles (cf. photo).

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En périphérie des villes, les anciennes générations regrettent parfois le régime socialiste (et donc un temps ante européen) qui leur assurait localement un travail pour tous, ainsi qu’un niveau de vie décent.

EAP : les proximités culturelles entre la population bulgare, d’un côté, et le monde orthodoxe, russe et balkanique, de l’autre, jouent-elles un rôle dans l’intégration de la Bulgarie en Europe ?

Les Bulgares se sentent à la fois balkaniques, ce qui implique l’acceptation d’une forte influence socioculturelle orientale, et européens. L’appartenance à ces différentes identités est réelle.

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En revanche, d’après mon expérience, l’orthodoxie n’apparait pas comme un élément pertinent de proximité culturelle avec l’Europe (UE). Le profil habituel que j’ai rencontré chez les grands europhiles est celui de personnes à la fois athées ou agnostiques – le plus souvent un héritage de la période socialiste –, et également polyglottes, cultivées, instruites ; ce type de profil explique qu’on observe moins de réflexes identitaires dans leur comportement social et que ces individus s’ouvrent plus aisément aux cultures euro occidentales.

Parmi les travailleurs moins aisés (dans et hors des frontières), souvent des individus n’ayant pas prolongé leur parcours scolaire par des études universitaires, l’orthodoxie apparait comme un élément identitaire plus que religieux ; cela leur permet de cultiver leur différence relativement à leurs voisins (dans et hors leurs frontières) de confession chrétienne catholique, protestante ou musulmane. En conséquence, il est difficile de voir l’orthodoxie comme un facteur d’intégration à l’Europe.

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