Matteo Salvini se nourrit des crises qu’il provoque. Plus elles sont graves, plus il prospère. La crise diplomatique actuelle avec la France est destinée à renforcer cette tactique. Pour le leader italien, dégrader les relations transalpines consacre son statut de principal opposant à la présidence Macron. Loin d’être conjoncturelle ou passagère, cette crise illustre la stratégie de rupture que Matteo Salvini a utilisée pour se porter au pouvoir en Italie. Depuis sa création en 1989, la Ligue prône le rejet des partis traditionnels (démocratie chrétienne au premier chef) et de leurs engagements européens.
Mais cette crise sciemment recherchée par le vice-président du conseil italien manifeste aussi son grand dessein : transformer la campagne des européennes en un référendum continental contre Macron et rassembler sous sa bannière les partis nationalistes d’Europe. Le temps de la rupture le système s’achève pour la Ligue et ses alliés. Désormais, c’est une ambition continentale qui se déploie partout en Europe.
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En France : devenir le premier opposant à Macron
Matteo Salvini ambitionne-t-il de devenir un homme politique français ? On pourrait le croire tant il s’implique (ou s’ingère) dans la vie politique hexagonale. Depuis sa victoire aux élections générales italiennes et sa nomination comme vice-président du conseil, il a réactivé son alliance traditionnelle avec le Front (devenu Rassemblement) National. Appelant régulièrement à voter pour le RN, siégeant avec lui au Parlement européen au sein du groupe Europe des Libertés et des Nations (ENL), tenant des meetings avec Marine Le Pen, Matteo Salvini se place à l’avant-garde du rejet de l’islam, des migrants et des demandeurs d’asile – assimilés les uns aux autres sans autre forme de procès. Sur le thème des migrations, Matteo Salvini a même pris un avantage sur son alliée française : en tant que ministre de l’intérieur, il peut refuser aux navires de migrants l’accès aux côtes italiennes.
Le Mouvement des Gilets Jaunes lui a fourni un prétexte supplémentaire pour s’inviter dans le débat français : multipliant les déclarations de soutien aux manifestants, il a ouvertement appelé au départ du président de la République. De là à prendre symboliquement la tête de la contestation, il n’y a qu’un pas. La stratégie de la rupture et l’ambition européenne sont étroitement imbriquées : soutenir le RN, contester le système institutionnel, l’oligarchie et les migrations sert un seul même objectif : prendre d’assaut le « bunker de Bruxelles ».
En Italie : contraindre le M5S à l’allégeance (et au suicide)
En Italie, la stratégie de rupture de Matteo Salvini vise à supplanter son partenaire de coalition, le Mouvement 5 Etoiles (M5S). A l’issue des élections générales du 4 mars 2018, les deux partis étaient presque à parité avec 37% des voix pour La Ligue et 32,7% des voix pour le M5S.
Dès l’été 2018, Salvini a cherché à prendre l’avantage. Dans les médias, il a multiplié les sorties contre l’Europe accusée de favoriser les afflux de migrants et de laisser l’Italie démunie. Face aux sondages favorables à Matteo Salvini et à l’occasion du mouvement des Gilets Jaunes, le M5S a vite renoncé à ses convictions européennes. Il a emboité le pas à la Ligue. En proposant aux Gilets Jaunes sa plateforme numérique, en accusant la France d’appauvrir l’Afrique puis en annonçant la fin de l’ère Macron, Luigi di Maio s’est engagé dans la surenchère. L’opposition à la France de Macron est devenu pour lui la martingale de la survie politique.
Mais la stratégie de Matteo Salvini est celle d’un « baiser de la mort » : en communiant avec la Ligue dans l’anti-macronisme, le M5S perdra sous peu ses spécificités. La Ligue n’a-t-elle pas déjà renoncé à être seulement « du Nord » pour mordre sur les fiefs électoraux méridionaux du M5S ? Le M5S court de grands risques à Bruxelles en suivant cette ligne : le départ des Brexiters du UKIP du prochain Parlement européen, laissera le M5S sans alliés pour constituer un groupe parlementaire.
En Europe orientale : rassembler le Fidesz hongrois et le PiS polonais
Matteo Salvini ne limite pas ses ambitions à la scène nationale. Depuis des mois, il sillonne l’Europe pour bâtir une coalition.
Son premier objectif est le parti du Premier ministre hongrois, le Fidesz. Lors de sa conférence de presse conjointe avec Viktor Orban à Milan le 29 août 2018, Matteo Salvini a repris la principale récrimination de la Hongrie et du Groupe de Višegrad envers Bruxelles : la politique migratoire de l’Union mettrait en danger l’identité culturelle de l’Europe et le principe de souveraineté nationale. Il a ainsi amorcé une « convergence des luttes » nationalistes propre à séduire en Slovaquie, en Tchéquie et au-delà. Il exploite une conjoncture particulière car le Fidesz voit son affiliation traditionnelle au Parti Populaire Européen remise en question. Le PPE n’a en effet pas soutenu la Hongrie en septembre dernier quand le Parlement européen a voté pour les sanctions prévues à l’article 7 du Traité sur l’Union européenne en cas de graves risques pesant sur les droits fondamentaux.
Le deuxième objectif de Salvini est l’alliance avec le PiS au pouvoir en Pologne. Lors d’un déplacement à Varsovie, le 9 janvier 2019, il a signé avec ses dirigeants un accord anti-migrations en dix points. Là encore, il exploite la conjoncture : le gouvernement polonais est lui aussi en butte à la procédure de l’article 7 en raison de ses réformes constitutionnelles. En outre, dans le prochain Parlement européen, le PiS sera privé de son principal allié, le Parti Conservateur britannique et devra chercher un groupe. De là à rejoindre la Ligue…
A Bruxelles : fédérer un bloc nationaliste
Matteo Salvini veut recomposer la scène politique européenne pour contester le poids du PPE et des sociaux-démocrates. Pour compter au Parlement il doit rassembler 25 eurodéputés issus d’au moins sept Etats membres. Les 27 eurodéputés dont les sondages créditent la Ligue doivent constituer l’épine dorsale d’un groupe où siégeront les 20 députés du RN français, les 5 représentants du FPÖ autrichien, les 4 députés PVV néerlandais et les élus de partis comme les populistes du SPD tchèque, ceux du Vlaams Belang belge… Fort d’un groupe parlementaire dont il maîtriserait les principaux éléments et la ligne, Salvini entend peser sur la nomination du président du Conseil européen puis sur l’attribution des postes de Commissaires européens.
Dans cette campagne électorale comme dans ces négociations, Matteo Salvini aura comme cible principale le président français. On comprend ainsi comment la crise diplomatique entre Paris et Rome s’insère dans une stratégie continentale de la tension – mûrement réfléchie et savamment organisée.