En prenant en compte une perspective de moyen-long terme, comment apprécier ce qui serait pour la France le pire de ces trois scénarios ; entre une intégration-fédéralisation européenne, une poursuite du projet européen tel qu’il est, ou une dislocation européenne.
1°) D’un point de vue politique, notamment à l’aune de la démocratie libérale, des institutions, et des valeurs ?
Florent Parmentier : il est tout à fait exact de dire que les démocraties libérales ont grandi dans un cadre national comme le rappellent opportunément les partisans de l’Etat-nation. De ce point de vue, en distendant le lien entre la souveraineté populaire et l’échelle de décision, pour ses détracteurs, l’Europe n’est qu’une machine à saper la démocratie. Toutefois, il est également intéressant d’observer que la permanence et l’expansion des démocraties libérales au cours du 20e siècle en Europe sont des phénomènes étroitement liés à l’existence d’une paix continentale. En d’autres termes, on peut dire que si l’Europe fait la paix (par l’enchevêtrement des intérêts des acteurs à l’échelle du continent), la paix fait également l’Europe (elle est le produit de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide) ; l’ancrage de la démocratie libérale sur le continent s’avère donc, sur le long terme, une de ses meilleures garanties. A proximité de régimes autoritaires, les démocrates tendent parfois à renier les valeurs qui sont les leurs, afin de résister à une tentation autoritaire plus forte. Ce qui était vrai du constitutionnalisme, comme l’on disait alors, l’est vrai également en matière d’Etat de droit aujourd’hui.
Le plus surprenant est sans doute le lien que l’on peut émettre entre démocratie libérale, Europe et souveraineté. En effet, contrairement à une idée répandue, l’Europe peut parfois être un vecteur de souveraineté inattendu mais bien plus réel que des fuites en avant. On le voit, le Royaume-Uni n’est pas plus souverain avec le Brexit, puisque sa marge de manœuvre est bien moins réelle qu’on ne le croit. Il n’est pas en mesure de dicter ses conditions au reste de l’Europe. Ses universités étaient les grandes gagnantes du jeu européen : pour un euro investi, les Britanniques en récupéraient trois. En fin de compte, donc, la dislocation ne garantit pas la démocratie libérale et la fédéralisation européenne doit prouver sa capacité à disposer d’une réelle légitimité populaire.
2°) D’un point de vue géopolitique, notamment dans le rapport de forces entre les grands ensembles actuels ?
Florent Parmentier : Le vrai défi pour la France consiste à avoir une vision articulée de sa propre stratégie, à même d’entraîner les Européens. L’Europe n’est un multiplicateur que si l’on sait où l’on va ; un Etat comme la Corée du Sud a une vision claire de ses priorités, de même que le Maroc qui s’est dotée d’une vraie vision à l’échelle du continent africain. Il n’est pas sûr que la France dispose aujourd’hui du bon logiciel au vu des évolutions du monde, et du coup, elle n’est pas en mesure d’entraîner les Européens.
On serait en droit d’attendre une politique européenne beaucoup plus active en Afrique, notamment quand on prend en compte la variable migratoire. Un dialogue avec les pays africains est nécessaire sur ce point. De même, les Européens après le Brexit doivent s’intéresser à leur dimension maritime, point crucial pour la France quand on sait qu’elle a le premier espace maritime mondial avec les Etats-Unis. Le spatial est également une autre frontière pour les Européens, comme les technologies telles que l’IA.
En somme, la France doit développer une politique autonome cohérente et à même de recueillir le soutien de ses partenaires. C’est un processus long et exigeant, et il faut espérer qu’il ne soit pas déjà trop tard pour forcer les Européens à prendre leurs responsabilités : ni les Etats-Unis, ni la Russie ne souhaitent les voir unis. C’est une nouvelle donne.
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