Le « printemps des peuples » ne passera pas l’hiver (BRET dans Les Echos)

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Matteo Salvini et Marine Le Pen ont promis un « printemps des peuples » pour les élections européennes de mai prochain. Leur grand dessein continental risque de tourner court : il repose sur une base politique étroite, peu attractive à l’est et au nord de l’Europe et se brisera sur plusieurs écueils.

Retrouvez la tribune ici: Les Echos Cyrille BRET

 

Tous les souverainistes du continent sont entrés en campagne pour les européennes du 26 mai prochain. Viktor Orban vient de placer les élections sous le signe de l’identité chrétienne de l’Europe. Matteo Salvini et Luigi Di Maio appellent ouvertement à contester la présidence Macron en soutenant les Gilets Jaunes. Et Marine Le Pen tiendra des meetings avec la Ligue en Italie.

La victoire des souverainistes est-elle inéluctable dans le prochain Parlement européen ?

La conjoncture semble les favoriser : Brexit, Gilets Jaunes, rejet des élites, de l’islam et des migrants, etc. Mais le tsunami continental qu’ils souhaitent peut butter sur trois écueils : l’étroitesse de leur base parlementaire ; leur incapacité à fédérer largement à travers le continent ; leurs divergences politiques sur les thèmes essentiels de la prochaine mandature européenne.

Un groupe parlementaire étroit et fragile

Au Parlement, la Ligue et le FN constituent les principaux contingents du groupe « Europe des Nations et des Libertés » (ENL). En mai, Le Pen et Salvini essaient de rassembler tous les souverainistes du continent dans ce groupe.

Pour cela, ils doivent rassembler 25 eurodéputés issus d’au moins 7 Etats membres. Les sondages semblent favorables : le RN est crédité de 20 sièges et la Ligue de 28 sièges. Leurs alliés feront l’appoint comme aujourd’hui : le FPÖ autrichien peut apporter 5 sièges ; le Parti de la Liberté (PVV) de Geert Wilders, 4 sièges ; et plusieurs partis permettront peut-être d’atteindre le nombre de 7 Etats membres : les populistes du SPD tchèque et ceux du Vlaams Belang belge…

Mais le groupe est étroit car il ne comprend ni les bataillons polonais du PiS ni les élus hongrois du Fidesz ni les Allemands de l’AfD. Cette faiblesse n’est pas négligeable : en 2014 et 2015, durant la précédente mandature, les négociations avaient été ardues pour constituer un groupe. Face à un groupe PPE de 217 eurodéputés sur 751, leur groupe ENL est le plus petit du Parlement sortant avec 37 inscrits. Il est de plus mis en cause sur l’utilisation des ressources du Parlement européen.

Une attractivité limitée pour le Fidesz et le PiS

Pour contester le poids historique du PPE et des sociaux-démocrates, Salvini et Le Pen essaient d’élargir leur bloc.

Depuis des mois, ils déploient une campagne continentale : conférence de presse anti-Macron avec Viktor Orban à Milan le 29 août 2018 ; accord anti-migrations en 10 points avec le PiS polonais le 9 janvier 2019. Ils cherchent à se rallier le Fidesz hongrois traditionnellement affilié au PPE. Mais la convergence n’est que médiatique : pour le chef du Fidesz et Premier ministre hongrois, l’appartenance au PPE et la revendication de l’héritage CDU d’Helmut Kohl sont une assurance-vie politique.

Salvini et Le Pen espèrent également saisir l’opportunité du Brexit pour attirer les gros bataillons du PiS, le parti du président et du Premier ministre polonais. Avec le départ des 18 eurodéputés britanniques du Parti Conservateur, le PiS verra son groupe (les Conservateurs et Réformistes d’Europe) affaibli. Mais, là encore, le PiS a une filiation politique spécifique. Idéologiquement, il est démocrate-chrétien conservateur. Si le PiS ne siège pas au PPE avec Les Républicains et la CDU-CSU, c’est essentiellement parce que son principal rival politique en Pologne, la Plateforme Civique est, elle, membre du PPE.

Une unité de façade

Même s’ils réussissaient cette union sacrée souverainiste baptisée « printemps des peuples », Le Pen et Salvini ne pourront pas empêcher les scissions dans ce bloc souverainiste.

Tous les souverainistes d’Europe sont unis par la méfiance envers Bruxelles, le rejet de l’islam et des migrations confondus, la contestation des élites et du couple Merkel-Macron. La Hongrie d’ Orban et la Pologne du PiS n’ont-ils repris le flambeau du souverainisme et des valeurs chrétiennes grâce au groupe de Višegrad ? En Autriche, le gouvernement de coalition ÖVP-FPÖ de Sebastian Kurz n’a-t-il pas repris ces thèmes ?

En réalité, les partis souverainistes du continent sont fondamentalement divisés sur au moins trois thèmes majeurs. En économie, les partis anti-redistribution comme le RN, la Ligue et le PVV ne peuvent s’accorder sur les fonds structurels avec des partis qui militent pour des transferts intra-européens importants comme le PiS, le Fidesz et le SMER–SD slovaque. En politique extérieure, les partis ouvertement pro-russes (RN, Fidesz, la Ligue) ne peuvent converger avec le PiS polonais et les nationalistes baltes qui cultivent l’atlantisme contre la Russie. En matière de mœurs, les conservateurs catholiques du PiS ne peuvent converger avec des partis sécularisés comme le PVV, RN et les Vrais Finlandais ou les populistes danois.

Dernier élément, idéologique celui-là : la démocratie-chrétienne irrigue plusieurs courants et partis souverainistes en Slovaquie, en Pologne, etc. Même dans sa version réactionnaire, elle n’est pas aisément compatible avec des partis largement sécularisés comme la Ligue et le RN.

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