L’Ukraine, ses présidentielles et ses vulnérabilités (Noam Hakoune pour Eurasia Prospective)

Le premier tour des élections ukrainiennes du 31 mars a vu deux candidats se qualifier pour le second tour qui aura lieu le 21 avril. Volodymyr Zelensky avec 30,24% des voix, devance largement Petro Porochenko qui obtient 15,95% des voix. Zelensky est clairement l’outsider de la classe politique ukrainienne. Connu pour son rôle principal dans la série ukrainienne Serviteur du peuple, il a annoncé sa candidature à la fin de l’année 2018. Quant à Petro Poroshenko, président depuis 2014, il est un homme politique aguerri à l’exercice du pouvoir.

Les programmes des deux candidats sur les relations internationales ne comportent que peu de différences. Les deux s’accordent à dire que l’Ukraine doit pivoter vers l’Ouest et amorcer une orientation claire vers l’OTAN et l’Union Européenne. Il convient toutefois de souligner que Porochenko est légèrement plus offensif à l’égard de Moscou et notamment concernant la Crimée.

C’est sur l’économie et les réformés intérieures, en particuliers celles sur la corruption, que les divergences se font sentir. Zelensky insiste sur les problèmes de corruption endémique et souhaite restaurer la confiance envers l’État, de manière à attirer les investisseurs. Sur l’économie, le président sortant ne met pas en avant ses résultats et préfère se prononcer sur le conflit avec Moscou.

Le conflit dans le Donbass, bien que médiatiquement moins visible, continue. Néanmoins, force est de constater que la ligne de front semble gelée. L’heure n’est plus aux tentatives de percées qu’ont menés les séparatistes en 2015, ou aux vastes offensives de Kiev sur Donetsk et Louhansk. Dorénavant, les belligérants s’affrontent indirectement tout au long de la ligne de contact.

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A la veille du deuxième tour des présidentielles, il convient d’examiner cinq sites stratégiques qui, en cas de prise par l’une ou l’autre des parties, pourraient conduire à une rupture du statu quo.

Le port de Marioupol

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Sur les rives de la Mer d’Azov, partagée entre la Russie et l’Ukraine, cette infrastructure industrialo-portuaire constitue la porte d’entrée d’une ville de 400 000 habitants, dixième ville la plus grande d’Ukraine. Ce port permet d’acheminer vers l’Est du pays, des marchandises et de l’alimentation. En outre il donne un travail à 70% des habitants de la ville. Le port de Marioupol est l’infrastructure la plus sensible car la plus proche de la zone contrôlée par les insurgés. Le port est à 20 kilomètres de la ligne de contact et à 90 kilomètres de Donetsk, bastion des sécessionnistes pro-russes. D’un point de vue stratégique la prise de Marioupol constituerait la première étape d’une course, permettant de connecter le Donbass à la Crimée et d’assurer à la Russie un contrôle total sur la Mer d’Azov.

Le complexe gazier d’Avdiivka

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Avdiivka est un site industriel et énergétique très important, situé à seulement une dizaine de kilomètres de Donetsk. C’est un complexe d’extraction de charbon et de gaz capital, constituant une potentielle rente pour les insurgés et une place stratégique forte à défendre pour Kiev. En outre, ce complexe est directement connecté à la gare d’Avdiivka ce qui permet de transporter vers l’Est du pays toutes les ressources énergétiques nécessaires à son quotidien. Si les insurgés venaient à s’emparer d’Avdiivka, d’importantes offensives seraient menées pour reprendre ce lieu.

 

L’usine de traitement des eaux de Donetsk

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Le cas de cette usine de traitement des eaux est encore plus particulier. En effet, Cette structure purifie l’eau de 600 000 ukrainiens, vivant à l’Est et à l’Ouest de la ligne de contact. Ce site n’est qu’à 500 mètres de la ligne et subit fréquemment d’importants dommages collatéraux. En 2018, l’usine a dû fermer 2 mois suite à un bombardement. Nous sommes ici dans un cas d’infrastructure vital qui n’a pas intérêt à être attaqué, que ce soit par le gouvernement central ou les insurgés. En effet, les deux côtés tiennent à préserver le bon fonctionnement de l’usine, pour des raisons d’image et d’opinion.

Le fait que les insurgés aient ouvert le feu sur ce site en 2017 montre parfaitement la structure des groupes combattants. En effet, ces groupes ne sont pas directement tenus par le Kremlin et de telles « attaques » témoignent bien de la désorganisation hiérarchique des insurgés.

 

Le pont de Kertch

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La construction du pont de Kertch a débuté en 2014 et s’est achevée en 2018. Ce pont permet de relier la Crimée à la Russie. Cette péninsule a été annexée par la Russie en 2014 et cette infrastructure pose un enjeu géostratégique important pour le Kremlin. Ce pont permet à la Russie de transférer des populations afin d’accélérer l’intégration des ukrainiens russophones vivant en Crimée. Sur un plan militaire, le pont de Kertch permet également à Moscou de militariser facilement la péninsule. Évidemment, ce site est sensible dans la mesure où il peut être la cible de n’importe quel opposant au projet de rattachement.

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Le port de Sébastopol

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Il constitue un enjeu géostratégique vital. Situé au Sud-Ouest de la péninsule, le port de Sébastopol verrouille la ville et permet de maîtriser la Crimée et in extenso la Mer Noire. En outre, les navires qui acheminent des armes vers la base russe de Tartous en Syrie partent du port de Sébastopol. C’est donc un site crucial pour l’équilibre géopolitique russe, et pour la conservation de son pied-à-terre en Méditerranée. Par ailleurs, en contrôlant la Crimée, la Russie peut (éventuellement) obstruer l’accès à la mer de l’Ukraine et enclaver son territoire.

 

 

 

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Noam Hakoune, analyste en géopolitique et géostratégie des conflits contemporains »