Ils ne tarissent pas d’éloges l’un pour l’autre. «La Russie et la Chine sont de bons voisins, connectés par des montagnes et des rivières, de bons amis s’offrant soutien et assistance mutuels et de bons partenaires collaborant sincèrement», a déclaré Xi Jinping avant de s’envoler pour la Russie où il est reçu ce mercredi pour une visite d’État de trois jours par son homologue russe et «meilleur ami», Vladimir Poutine. Un événement qui ne sort guère de l’ordinaire tant les deux hommes ont eu l’occasion de se rencontrer ces dernières années. D’ores et déjà 28 fois depuis 2013.
Cette fois-ci, ils signeront une déclaration commune pour voir «entrer [leur coopération] dans une nouvelle ère». Mais, derrière les discours, qu’en est-il réellement? Le pivot de la Russie vers la Chine est-il engagé? Leur relation est-elle aussi fondée sur la confiance que le martèlent Xi et Poutine? N’y a-t-il pas un déséquilibre croissant entre les deux puissances? Le Figaro décrit les cinq piliers d’un partenariat stratégique qui, s’il n’est pas une alliance en bonne et due forme, n’en reste pas moins bien réel.
Alexis Feertchak met en évidence 5 aspects de ces relations :
- Une relation ancienne, loin d’être seulement conjoncturelle
- Unis contre une même vision «américaine» du monde
- Une coopération militaire croissante
- Le pivot économique russe vers l’Asie
- L’Arctique russe et les routes de la soie chinoises
Retrouvez l’analyse ici : Chine Russie Figaro
Une relation ancienne, loin d’être seulement conjoncturelle
Ce voyage est teinté d’histoire puisque les dirigeants russe et chinois vont célébrer ce mercredi l’anniversaire des 70 ans de la reconnaissance de la République populaire de Chine par l’URSS, qui fut le premier État à franchir le pas en 1949. Mais l’actuel partenariat entre les deux puissances ne date pas de cette époque, Pékin et Moscou ayant rompu leurs relations en 1965. «Il n’est pas né non plus de la crise de ces dernières années entre la Russie et l’Occident, mais remonte plus loin, à 1989, lorsque Gorbatchev se rend à Pékin pour normaliser leurs relations. Depuis trente ans, ce partenariat n’a cessé de s’approfondir», raconte Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe. «Vu de Moscou, le principe est simple: pas toujours avec la Chine, mais jamais contre elle», résume-t-il. Et inversement.
Par rapport aux dernières années de l’URSS, un élément a évolué. En 1989, «les deux économies étaient à peu près au même niveau, commente Anne de Tinguy, historienne et professeur émérite à l’INALCO, dans une interview à Diploweb. Mais ce partenariat est de plus en plus asymétrique». Pékin vise désormais la place de première économie mondiale, devant les États-Unis. D’ailleurs, c’est déjà chose faite si l’on observe le PIB en parité de pouvoir d’achat de la Chine et non son PIB nominal. L’économie russe est, elle, loin derrière, au niveau de l’Allemagne, voire de la Corée du Sud, selon que l’on observe le premier indicateur ou le second.
Unis contre une même vision «américaine» du monde
Déjà, dans les années 1990, Moscou et Pékin critiquaient à l’unisson l’ordre internationalné des décombres de la Guerre froide. «Pour eux, le multilatéralisme des Nations unies n’est qu’une façade cachant les intérêts américains», explique Cyrille Bret, maître de conférences à Sciences Po Paris. Depuis cinq ans, avec la guerre en Syrie, la crise en Ukraine, le vote de sanctions occidentales contre la Russie et aujourd’hui la guerre commerciale entre Pékin et Washington, le mouvement s’est encore accéléré. «Ce n’est plus seulement le cadre onusien, mais aussi les actions unilatérales des États-Unis qui font se rapprocher Moscou et Pékin, ce qui n’est pas pour déplaire aux Russes», confie Arnaud Dubien. «L’intensité du dialogue politique entre les deux pays fait de ce partenariat un élément structurant du système international», abonde Anne de Tinguy.
Une coopération militaire croissante
Les questions militaires sont pour Moscou et Pékin l’occasion de promouvoir de façon particulièrement visible leur bonne entente. Alors que les forces chinoises sont en pleine expansion et que la Russie a montré en Syrie qu’elle avait su renouveler ses capacités militaires, les deux armées réalisent chaque année des exercices conjoints particulièrement médiatisés. Ce fut notamment le cas lors des exercices Vostok qui se sont tenus à l’été 2018dans l’est de la Russie.
La Russie exporte aussi de nombreux armements en Chine. «Un cap a même été franchi. Auparavant, Moscou ne livrait pas à Pékin ses technologies les plus sophistiquées. C’est désormais le cas avec la livraison de missiles S400 et de chasseurs Su-35 à la Chine, premier client à l’export pour ces produits», précise Arnaud Dubien. Mais, là encore, Pékin rattrape son retard technologique sur la Russie et pourrait même, à terme, devenir un sérieux concurrent sur le juteux marché des exportations d’armements, dont Moscou a absolument besoin pour abonder son budget et soutenir son industrie. «Surtout que, depuis les années 1990, les Russes se méfient beaucoup des copies chinoises de leurs armements», ajoute Cyril Bret.
Le pivot économique russe vers l’Asie
Ce jeudi, Xi Jinping sera l’invité d’honneur du Forum économique de Saint-Pétersbourg, sorte de Davos russe. Pour contourner les sanctions européennes et américaines prises dans le sillage de la crise en Ukraine en 2014, la Russie compte sur son pivot vers l’Asie, en premier lieu vers Pékin, pour remettre à flot son économie. En 2018, ses échanges commerciaux avec la Chine – son premier partenaire commercial, devant l’Allemagne – ont augmenté de 25% pour s’établir à 108 milliards de dollars (contre près de 290 milliards avec toute l’Union européenne). Une dynamique qui devrait s’accroître ces prochaines années. En décembre prochain, les deux pays inaugureront le gazoduc «Force de Sibérie», qui approvisionnera la Chine en gaz russe. Un contrat de 400 milliards de dollars sur trente ans a été signé en 2014.
Néanmoins, la Russie aimerait que la Chine investisse davantage sur son territoire, et pas seulement dans les matières premières. «Les choses avancent, mais lentement. En matière d’investissements, la France est davantage présente en Russie que la Chine», rappelle Arnaud Dubien. «Ce décalage a une traduction politique: il complique la notion de ‘dialogue sur un pied d’égalité’ si prisée à Moscou et pèse sur son pouvoir de négociation», écrit pour sa part Anne de Tinguy.
L’Arctique russe et les routes de la soie chinoises
En quoi les Chinois ont-ils vraiment besoin des Russes? «Il ne faut pas oublier qu’un alignement de la Russie sur l’Occident serait un cauchemar stratégique pour la Chine. Évidemment, aujourd’hui, cette hypothèse paraît farfelue, mais elle ne l’était pas, par exemple, au début des années 2000», souligne Arnaud Dubien, qui rappelle qui ne s’agit pas d’une «alliance»: «L’idée n’est pas d’être d’accord sur tout, mais de ne rien faire qui porte préjudice à l’autre». Dans son projet des «nouvelles routes de la soie» – gigantesque entreprise chinoise visant à étendre son influence à travers l’Eurasie en finançant des infrastructures autant terrestres que maritimes – la Chine peut s’appuyer sur le soutien de la Russie, qui n’est pas mécontente de se retrouver dans une position stratégique, à cheval entre l’Europe et l’Asie. «En même temps, on se méfie de cet activisme diplomatique chinois», tempère Cyril Bret, citant notamment les ambitions chinoises dans l’Arctique.
La Chine, qui devrait à terme disposer de brise-glace nucléaires comme la Russie, s’intéresse de plus en plus à cette zone, qui, avec le réchauffement climatique, pourrait devenir une route commerciale annexe pour rejoindre l’Europe. «Dans l’Arctique, les choses se passent mieux qu’on ne le dit. Les Russes, qui sont la puissance dominante, n’ont pas peur des Chinois. Ils apprécient au contraire de voir Pékin participer au financement de grands projets», estime Arnaud Dubien. La Chine, via le fonds dédié aux nouvelles routes de la Soie, a ainsi massivement investi dans le gigantesque projet Yamal de production de gaz naturel liquéfié (LNG) dans l’Arctique. Avec la guerre commerciale sino-russe et la défiance persistante entre la Russie et l’Occident, le couple Xi Jinping Vladimir Poutine devrait continuer de se serrer les coudes.